17 janvier 2011

500 méchants : Intégrale et Suppléments

Introduction à l’incontournable Mister Boy
Mister Boy c’est un ego grand comme ÇA dans des souliers trop petits.
Le prénom : Mister, prononcé à la française.
Certains croiront qu’il faut être mal aimé de ses parents pour se voir nommer ainsi.
Eh bien, certains manquent de jugeote…
Un prénom comme celui là, on ne se le fait pas donner, on se l’octroie.
Mister, c’est tout le monde et quelqu’un à la fois.
Mister, c’est digne, c’est pédant, ça impose le vouvoiement…
« Prendrais-tu une bière Robert? », « Prendriez-vous un verre, Mister? »…
L’ordinaire et le sublime se côtoient mais ne se confondent jamais.
C’est l’ordre normal des choses.

Le nom : Boy, prononcé à l’anglaise.
Presqu’un surnom en fait, presque familier, très attachant.
Heureusement, pris comme nom de famille, ça garde une certaine distance avec l’interlocuteur.
Boy, c’est tout le monde et quelqu’un à la fois.
Boy, c’est un homme, un vrai.
Madame Boy, non.
Mister Boy, oui.
C’est l’ordre normal des choses.

Mister Boy
Un héros, un vrai, en collants bruns, trois étoiles jaunes sur la jambe gauche, une ligne de vitesse sur la droite.

Doté de pouvoirs jamais assez grands pour lui.
With great powers come great catastrophies!
Magnétisme décapant, force, leadership et folie des grandeurs.
Il fait son bonhomme de chemin.
Il ira loin Mister Boy.


Une entrevue avec Mister
Bien adossé au dossier (c’est fait pour), confortablement installé à mon bureau (les pieds sur le dit), je suis encore frais après 71 heures d’entrevues carabinées. Le speed jobbing est encore plus rapide que mon maillot (speed-jogging) de super-héros !

J’attends nonchalamment mon 642e candidat en passant en revue les meilleurs des piètres qui se sont présentés jusqu’à présent. Se chercher un acolyte digne de soi quand on est Mister Boy n’est pas une mince affaire.

Le gars sur des échasses avait fière allure, mais il marche plus vite sans qu’avec… speed jobbing, 10 secondes. Travesti-gros-fusil a fait montre d’un potentiel presque aussi grand que son manque de classe… speed jobbing, 5 secondes. La troupe de nains costauds est une troupe de nains. Costauds ou pas, « troupe de nains » c’est déjà un motif pour n’être pas sélectionné… speed jobbing, 2 secondes ! Le record à date.

Le #642 franchit le seuil de la porte; le tricorne, le bandeau sur l’œil, le crochet, la longue-vue, le pistolet, le pourpoint, le foulard orné d’un crâne et deux tibias, le sextant et la hache laissent peu de place au doute, ce type est déguisé en idiot.

D’une voix qu’il voudrait plus courageuse, il annonce:
- Je… je suis un pirate (tiens donc)! Je… je m’appelle Old Stinky Poop.
J’attends la suite.

Faute de mieux, il m’offre son unique main, molle, humide et tremblante, me convaincant du coup d’abréger les présentations.

- Le costume, ça part mal.

Le type ne répond pas, préoccupé par ses fonctions corporelles. Transpiration: maximum. Claquage de dents: modéré. Papillons: oui. Digestion: malcommode.

- Qu’est-ce que tu fais de spécial ? À part suer comme un cochon bien sûr.

- Je crache (d’un ton mal assuré)… le feu.

Portant la main à mon front, je retire mes pieds du bureau et pousse un soupir:
- Montre tou…

Avant même que je n’aie terminé, le gars a compris que l’entrevue tire à sa fin. Il sort de sa poche une torche déjà enflammée (comment fait-il?). En une fraction de fraction de seconde, il l’a lancée en l’air de sa main moite et molle, a craché une flamme de 12 mètres (en spirales) pour allumer un cigare (je ne fume pas, merci) dans une boîte qui prend feu sur le bureau. Avec son crochet, il attrape la torche éteinte (non!) tout en manipulant un extincteur qui anéantit d’un coup les idées de grandeur de la boîte de cigares brûlante qui commençait à s’en prendre au porte-crayon le temps que tous les yeux étaient rivés sur le coup de maître!

- …jours, conclus-je. VOUS APPELLEZ ÇA CRACHER LE FEU??! Pitoyable ! Ma grande tante (quelle femme exceptionnelle) faisait mieux quand, le soir de Noël, elle flambait ses pets en chantant des cantiques pour nous faire patienter jusqu’à minuit en digérant sa dinde. Suivant!

Speed jobbing, 12 secondes! Le record à date.


Que les ennuis commencent!
"Charch’tu quekun mon beau"
Ses allers-retours au pied de l’hôtel, sa robe rouge pompier et son franc parler m’avais mis la pute à l’oreille. C’était probablement la personne dont j’avais besoin.

« Oui, mais pas pour moi » répondis-je en tirant sur la corde de cuir que j’avais tenue très discrètement jusqu'alors, ne voulant pas éveiller ses soupçons. Imaginez alors le visage d’une jeune travailleuse du sexe presque vierge apercevant à l’extrémité d’une laisse, un superbe homme-tronc greffé de jambes et d'une muselière.

Après une longue série d’entrevues peu fructueuses, j’en étais presque venu à l’idée de faire cavalier seul quand je tombai sur Paul, ce manchot avaleur de sabres fort qualifié qui, du reste, parlait très peu et semblait disposer d’une intelligence assez limitée. L’épellation laborieuse de son nom de quatre lettres vint toucher une fibre mystérieuse et jusqu’alors inaltérable de mon être; et plutôt que de le foutre à la porte, je me pris d’emblée d’affection pour ce type, comme on s’attache à un animal qui réussi quelques bons tours.

Je compris cependant assez rapidement que je devais le tenir muselé et en laisse car le pauvre bougre avait la langue baladeuse (à défaut d’avoir des mains) et démontrait une lubricité extrême. C’est en désespoir de cause que je l’emmenais chez une professionnelle espérant le calmer une fois pour toutes ou m’en débarrasser à peu de frais.

Voilà donc mon énergumène en présence de cette jeune créature effarouchée, elle qui espérait avoir une nuit de rêve toutes dépenses payées avec Mister moi-même.

- Mademoiselle, je vous payerai quintuple salaire pour coucher avec mon ami.

- Quessé qui m’prouve quié pas danjereux ? Enlève-z-y ça (en parlant du masque à la « silence des agneaux »), si y mord pas, j’le prends.

Courageuse la brave fille, l’offre est honnête, j’essaie. Je démuselle mon sbire, espérant qu’il vendra sa salade du mieux possible ou que sa beauté incongrue aura le dessus sur sa jactance. Il renifle, il écume, il salive et se lance dans une envolée verbale insoupçonnée :
- Quand j’avais des bras, j’étais contrebassiste dans un orchestre et l’une de mes cousines nous jouais souvent de la pipe à coulisses durant les entractes. Vous me la rappelez, en mieux.

Ouf, pas mauvais le Tronc-Juan. Le pacte est conclu, Culbuta (c’est son nom) nous escorte (c’est son travail) vers l’hôtel ci-contre, je les attendrai patiemment à la porte de la chambre et dans une demi-heure, je saurai si la baise aura eu raison de la perversité de Macho-manchot-man.

Je les entends de l’autre côté et ils semblent bien s’en tirer.

- Quesse-tu fais dans vie ? De lui demander la miss pour le mettre à l’aise.

- Avaleur de sabre.

- Ça tombe ben, moé ’si. Gloup ! (Ça parle mal, mais c’est pas con.)

- AAAAhhhh ! Mugit mon tronqué.

- VROOUUUUM ! De dire je ne sais qui d’une voix très métallique.

- AAAAhhhh ! Répondent les deux autres à l’unisson.

AAAAhhh à l’unisson, j’aurais trouvé ça beau, mais après VROOUUUUM, ça cloche ! Je me précipite sur la porte dont la serrure cède sous mon pied comme une femme sous mon (allez, pas le temps de divaguer) charme.

Une scène pittoresque s’offre à moi à travers les restants de porte. Ils sont flambant nus, saisis et à tout jamais sosies la pute et mon gaillard. La pauvre a les bras tranchés ! Elle crie et pleure au dessus du bruit grinçant (dans son job, c’est très mauvais d’être amputée). Face à eux, un méchant gars énorme avec au bout des pattes, la scie mécanique (Ah, s’était ça le bruit!) lui ayant permit de se frayer un chemin à travers le mur et de transformer Culbuta en Vénus. L’engin tonitruant, peu rassasié par quelques copeaux et une paire de bras, en réclame davantage. Dans les mauvais films d’horreur, ça fait rire; mais en réalité, sans la musique et avec du vrai sang, c’est assez convainquant je dois l’admettre. Je fonce.

Paul évite de devenir cul-de-jatte à nouveau (ça serait le comble) en sautant par-dessus la scie. Elle fauche le sol mais, ayant raté les pieds, elle charge l’entre jambe. Le tronçon de l’homme-tronc s’en tire de justesse en se faisant aussi minuscule que possible tel un lapin terrorisé au fond de son terrier ; on ne le reverra pas de sitôt. Frustrée, la scie se relève et tente sa chance contre la fille. Pas-Poltron s’interpose la gueule béante. FLAFLAFLAFLA ! Je ne sais pas si l’avaleur de sabre tiendra le coup avec une scie rotative dans le gosier. Il ne s’était pas rendu si loin dans les prouesses à l’entrevue. J’accélère.

Au lieu de s’évanouir docilement comme le ferait une fille de bonne famille, la nouvelle femme-quasi-tronc se fait une vengeance avec les pieds. Mister : vitesse de croisière, un peu plus peut être.

Le salopard ne m’a pas encore vu, il extirpe sa scie de mon piteux compère et se retourne vers la dame.

Vitesse maximale, mon poing chauffe comme une navette spatiale à son entrée dans l’atmosphère et s’abat sur la figure de l’autre. Mille briques par phalanges, sa tronche ne tient pas le coup. Ça craque, ça éclate, j’ose pas regarder, j’aurais fait plus propre avec la scie… il s’effondre.

Les manchots se regardent tendrement et se font une sorte d’étreinte sans bras avant de choir sur le lit comme après l’amour, inconscients.
J’appelle une ambulance. Je fouille celui qui, peut-être, fut l’amant de la brave putite. À part les objets d’usage (clés, porte-foin, peigne en os), il a sur lui un carnet assez volumineux rempli de numéros de téléphones. 500 j’estime, tous des potes à lui ?

Un gars qui est prêt à massacre-à-la-tronçoneuser une jolie fille alors qu’elle fait correctement son métier, ses amis ne doivent pas être très rigolards.

Dans mon for intérieur, ça crie; c’est probablement ici que les ennuis commencent!


Bien à toi
Privé de mon animal, je suis de retour à la case D, à savoir : trouver un sidekick.

Le peu de succès obtenu avec les entrevues me contraint, contrit, à me tourner vers les journaux. Voyez par vous-même ce qu’annonce l’annonce (oui, je sais) à l’attention de la plèbe au lendemain de mes déboires :
« Mister Boy cherche acolyte non fumeur dans la vingtaine ou jeune trentaine pour partager aventures rocambolesques et peut-être plus. Veuillez soumettre votre candidature par écrit avec lettre de motivation, courte description des pouvoirs ou une narration étoffée du savoir faire.

NB : savoir roter des clous et posséder un permis de conduire valide sont d’indéniables atouts. »

Ce matin, sans grande surprise, je retrouve à la place de mon indémodable boîte à lettres, un monticule d’enveloppes et de colis trop volumineux pour la dite. Par habitude, je trie mon courrier à l’extérieur à l’aide d’une très (très) longue pince à cil munie d’une caméra infra-truc et d’une estampe « retour à l’expéditeur ».

- Pourquoi diantre, Mister?!, me demanderez-vous avec raison, le registre des menaces postales de votre existence s’étendant (en ordre de gravité croissante) du publi-sac à une missive annonçant une visite impromptue de votre belle-maman.

J’utilise la caméra pour scanner le contenu des colis et l’estampe « retour à l’expéditeur » pour marquer ceux qui contiennent du poison et/ou des bombes. La pince à longue tige m’évite d’être décoiffé lors des explosions fortuites et déplorables pouvant se produire à l’estampage.

L’opération triage entraîne son lot de déflagrations et la fonte de la congère de lettres, laissant graduellement réapparaître l’indémodable boîte à lettres mentionnée précédemment. En ouvrant prudemment celle-ci, l’idée me vient de lire en priorité les lettres à l’intérieur puisqu’elles sont arrivées les premières.

J’en dénombre 114 et, fait intéressant, elles proviennent toutes de la même adresse… on a affaire à un caractère compulsif, original. De plus, l’individu s’est débrouillé d’une manière ou d’une autre pour arriver ici avant le facteur. Excès de zèle? Attention particulière? L’un ou l’autre, j’apprécie.

Du tranchant de la main (le côté opposé au pouce), j’ouvre la totalité des enveloppes faisant choir à mes pieds une feuille format légal et une pluie de petits post-it roses.

Le bon sens commande de commencer par la feuille mais je ramasse tout de même l’un des petits carrés de papier rose pour me mettre en appétit. « J’ai traversé le Nil à la nage. Dans le sens de la longueur. En retenant mon souffle.» Pas mal. La feuille, quand à elle, est une présentation pour le moins sommaire. Jugez-en par vous-même :
« Cher Mister Boy,
Je viens justement d’arrêter de fumer et je possède un permis de conduire. Par contre, je ne sais pas roter des clous.
Bien à vous,
Kawra Pa »

Je prends une poignée de post-it et les consulte en vrac. « J’ai inventé le pâté chinois », « Le kung-fu est un art martial mineur », « Je suis une fille », « Mes parents étaient pauvres », « Je joue l’art de la fugue au tuba avec des mitaines à four. En dansant la claquette. »…

Mais encore : « Je connais par cœur l’annuaire téléphonique de Mexico », « Je m’évanouis sur commande », « Août est définitivement le meilleur moment de l’année pour escalader l’Everest », et… chétéra.

Ça frôle l’outrecuidance mais, son nom mis à part, cette Kawra Pa est définitivement le genre de faire-valoir dont j’ai besoin.

Ma décision est prise. Laissant là la (la la la!) pile de post-it, je retourne à mon bureau pour (à la rigueur) entamer une relation épistolaire avec la postulante ou (du moins) lui pondre une réponse.

« Chère Kawra,
quel nom horrible et c’est avec plaisir que j’ai reçu ta candidature.

Es-tu prête à mettre ta vie en péril? Les aventures de Mister, c’est pas d’la p’tite bière, ta mère a de fortes chances de recevoir la fameuse lettre « chère madame, blablabla… avons le regret… Kawra décédée… snif » avec les larmes qui diluent l’encre en bas de page. Je suis pas trop fort sur les épisodes de résurrection alors si tu meurs, faudrait te repartir sous un autre nom.

Ceci étant dit (et ceci amenant cela), voici le contrat d’embauche…

Je soussignée, Kawra Pa, m’engage à servir Mister Boy en toutes situations même les plus incongrues et dégage le dit Mister Boy de toutes responsabilités concernant d’éventuels blessures, grossesses, décès ou autres inconvénients. Je n’entamerai aucune poursuite contre (avec peut-être mais pas contre) le Mister en question. Le Boy s’engage en retour à pas grand chose, si ce n’est qu’un peu de bon temps et le sentiment de réussir sa vie (à condition évidemment de ne pas la perdre au cours de folles aventures).

Apprends à roter des clous, signe ce contrat et je te prends à l’essai.
Bien à toi,
Mister Boy. »


Ras le Boy
N’allez pas confondre Mister Boy et Harry Potter. Je n’ai pas l’intention de vous expliquer à chaque paragraphe qui sont les personnages et ce qu’est un match de Quiditch. Je vous suggère donc de recommencer cette œuvre magistrale par le début si vous avez des blancs; mais bon, si vous vous entêtez, qu’y puis-je? Ça sera quand même une des meilleures choses qui vous soient arrivées. Et si ce chapitre ne vous donne pas envie de connaître le reste, je m’en torche. Il y en a qui arrivent à voir de l’action dans Kamouraska; frileux! Donnez-moi un traîneau, un cheval, des amants et un rude hiver pour voir ce que, MOI, j’en ferais!

Donc, pour ceux qui savent de quoi il en retourne, les Troncs sont à l’hôpital et ils tuent le temps comme ils peuvent… quand t’as pas de bras, tu changes pas le poste de télé et tu prends l’infirmière quand elle passe parce que la sonnette est à la tête du lit et pas au pied. Ils ne se plaignent quand même pas trop malgré tout. Quand t’as frôlé la mort, tuer le temps c’est une forme de vengeance.

Les autres étant hors d’état de nuire, je me suis muni d’une nouvelle assistante, K’Pa. Son vrai nom c’est Kawra Pa. Vous trouvez ça laid? Moi de même, aussi l’ai-je gratifié de ce surnom coquet qui n’est pas sans rappeler les onomatopées colorées qui ponctuaient les bagarres autrement très ordinaires du bon vieux Batman (il est fini le pauvre, mon arrivée clos toute rumeur de retour). K’Pa semble plutôt dégourdie et fait étonnant, elle a appris à roter des clous. Vous me direz que c’est pas si exceptionnel de roter des clous (et vous aurez raison); sauf que normalement, c’est comme être daltonien, tu l’as ou non, mais tu ne l’apprends pas.

Après les événements que l’on sait, j’ai eu une semaine assez difficile. Les tentatives d’assassinats se succèdent mais ne se ressemblent pas, sauf en ce qui concerne l’aboutissement : un échec lamentable.

Lundi, une serveuse m’a servi (que vouliez vous qu’elle fasse d’autre? Sérieusement?) une généreuse dose de poivre de Cayenne. Elle aurait dû savoir, un Boy, ça pleure pas. Avant l’incident, j’envisageais l’inviter à ma chambre; je le lui ai dit, elle est morte de chagrin. Le lendemain, le facteur ou un quidam déguisé en (comment saurais-je si c’est l’un ou l’autre?) m’a attaqué au lance-flammes et s’est enfui alors que je me roulais par terre… le feu me chatouille. Hier soir, dans ma baignoire pleine, j’ai trouvé un gars mort électrocuté; j’avais oublié comment je m’étais débarrassé du tueur au Rocket-Chef (un genre de robot culinaire qui broie de la brique). Ce matin, des mousquetaires m’ont provoqué en duel. Ma leçon d’escrime gratuite s’est amorcée par une brillante démonstration de la célèbre botte des Boy et terminée du même souffle par le décès du premier protagoniste qui, n’eut été du fleuret planté dans son œil, eut apprécié la manœuvre et reconsidéré ma proposition de garder le bouchon de liège sur la pointe de l’arme.

J’en ai ras le Boy de ces incidents et je suis d’humeur massacrante. Après avoir fait un croc en jambe à une moto qui oubliait de céder le passage aux piétons, j’ai jeté un jeune type de trois cent livres dans une poubelle parce qu’il tutoyait une vieille dame et j’ai coupé la couette d’une lesbienne avec une coupe Longueuil (couchez avec qui vous voulez mais de grâce, pensez aussi à votre partenaire) pour finalement arriver devant le building qui sert de logement à K’Pa. Je suis venu la trouver pour avoir un coup de pouce (les Troncs ne pouvant m’être d’un grand secours à cet effet) pour me défaire de mes assaillants.

Alors que je traverse la rue, j’aperçois mon assistante étendue devant l’immeuble, inertes (au pluriel, la bâtisse et la fille)… à quoi ça rime?!! Durant le court moment de surprise causé par cette vision, un autobus se glisse sournoisement (40km/h) vers moi en sens contraire du trafic. Je me retourne pour courir mais un second bus, beaucoup moins sournois celui-là me fonce dessus. SPLAAAT (merci Batman)!!! Incroyable mais vrai, Mister lui-même, écrasé entre deux autobus.

Un autre que moi, il serait mort. C’est gros deux autobus, même pour un frame comme le mien. Ajoutez à cela la honte de voir que mes réflexes m’ont trahi… je titube tant bien que mal, je m’extirpe d’entre les pachydermes pour continuer de tituber plus à mon aise et je m’affaisse.

Picots noirs. Membres engourdis. Ma conscience? Où est-elle? J’étais pourtant certain de l’avoir avec moi… et dans la seconde brumeuse séparant l’éveil de l’évanouissement, je crois entendre la voix impatiente de maman Boy : « Elle est à la dernière place où tu cherches! ».


Le fil
Mister B l’oeil vide, l’oeil froid, l’oeil sec, le regard hagard.

La rumeur circule, est-il vivant ? Est-il mort ? Retraité-anticipé? Misterboynappé?

De l’intérieur de ma tête, je regarde dehors par mon oeil vitreux. Je comprends plus rien. Chaise, draps, fenêtre, néon, soluté… de l’autre côté du hublot, les formes n’ont plus de noms, et les noms, plus de sens. Mon crâne est un sous-marin sans équipage, une boîte de taule vide.

J’ai mis mon cerveau à off et mon corps à moins que ça.

J’ai pas bougé, pas mangé, pas baisé, pas lavé, pas rasé depuis tellement longtemps que j’m’en rappelle plus.

Pourtant, depuis un moment déjà, quelque chose a changé dans mon décor.

Il y a eu une espèce d’éclipse de lumière très brève. Depuis, il y a un fil scintillant qui traverse mon champs de vision de haut en bas, ça me gène.

Cet événement a réanimé la conscience de mes signes vitaux. Je respire, mon coeur bat et je vois.

Ça a aussi réanimé mon intellect. Qu’est-ce que c’est que ce fil d’argent ?

Ça a même réanimé mes émotions. Il m’énerve ce fil.

Mais je suis toujours immobile, mon corps comme un vieux rocher trop de fois centenaire.

Dans un fragment de lucidité, une frêle petite bulle, j’ai compris que le fil est la clé pour me sortir de cette léthargie. Après tout, il a déjà commencé le travail de réanimation sans me demander mon avis.

Je dois comprendre… une éclipse, un fil brillant !?

À cause de l’angle de la lumière en provenance du plafond, je suis certain d’être couché, le dos légèrement rehaussé. Le fil part du sommet de mon crâne jusqu’à très loin en bas. Pour voir où il va, je dois reprendre le contrôle de mes yeux. On dirait que j’ai oublié comment m’en servir. J'essaie mais ils ne bougent pas, ils fixent.

À la 129e tentative, ils tremblent imperceptiblement. Ça fait mal. C'est rouillé et ça grince comme une chaîne de vélo après 40 hiver sous la neige. J'ai l'impression qu'on me passe une lame de rasoir enduite de venin dans l'oeil. Je pleure, MOI. Mais je crois que ça y est. On reste dans le domaine de l'infinitésimal et à côté de ça, une limace portant un casque passerait facilement pour un bolide F1, mais oui, ça bouge. Yoctomètre............ zeptomètre (vous connaissez?)....... attomètre..... douleur atroce... femtomètre... picomètre, nanomètre, micromètre (on y est presque)... trop mal... millimètre... 1-2-3-achevez-moi... 8, 9, centimètre. Eurhh.

Pour célébrer ce marathon de la micro distance, je reprends mon souffle et je souffre en silence. Je suis incapable de cligner des yeux. À mon corps défendant, je laisse donc tomber les larmes en prenant le temps de m’habituer aux nouvelles images.

Le fil se rend jusqu’à un truc que je reconnais comme mon pied malgré sa pâleur et les ongles longs comme des sabres. Entre mes deux pieds, une mosaïque de fils parfaite avec un point noir au centre.

Eh merde, j’en suis là! Une araignée installe son hamac sur mon corps pour une sieste!!

Trop d’inertie et de catatonie, ça pique dans tous mes membres, il est vraiment temps que je bouge mon corps d’athlète (avant qu’il ne m’en reste que les pieds).

Je me concentre sur chaque os, chaque muscle, chaque nerf en fixant l’insolente bestiole.

Je bondis en avant en criant de douleur et j’attrape la chose. J’ai besoin de reprendre des forces, là, tout de suite. Je la gobe.

En me massant la nuque d’une main, je libère mes cheveux et mes pieds de ce damné fil.


Super-casque ou Le retour des Troncs
Assis sur un lit d’hôpital, je digère tant bien que mal l’araignée que je viens d’ingérer. Peu à mon aise dans une jaquette qui s’ouvre seulement par l’arrière (l’inventeur de cette chose est sans contredit un homme sournois), je tente de me souvenir des événements qui ont pu me conduire dans cette fâcheuse posture.

- Infirmière!?

Des bruits de pas dans le couloir. On ouvre la porte de la chambre voisine (la sœur de Roch). On marmonne quelque chose. Les bruits de pas se rapprochent de ma porte à moi (la mienne).

La créature qui vient s’enquérir de mon bien être me donne envie de raccrocher les collants de super héros et de passer le reste de ma vie en convalescence. Elle se tient bien droite, ce qui, sans même faire exprès, met bien en évidence sa taille et ses formes parfaites dans son uniforme que la coquine a repêché au rayon du « déguisement pour fillettes ». Me regardant avec un demi sourire, les yeux compatissants, à l’affût du moindre de mes désirs et de mes petits caprices de patient, elle me dit d’une voix à faire s’embraser une combinaison en amiante :

- Oh, vous êtes réveillé Mister ! Enchantée de vous revoir parmi nous. Mon nom est Cassandre, que puis-je pour vous ?

- Je vous en prie, prenez quelques jours de congé et vous pourrez vous assurer de mon complet rétablissement.

Elle s’approche (les seins devant) et à ma grande surprise, elle m’embrasse à pleine bouche.

- J’aurais adoré, mais c’est impossible, croyez-vous être le seul qui ait besoin de moi dans cet hôpital ?

Mon coeur se brise. Elle continue à la fois de manière nonchalante, charmante et expéditive :

- Je vous envoie vos vêtements et quelque chose à manger, si vous avez besoin de quoi que ce soit (elle appuie sur les mots)… appelez-moi.

Elle ferme la porte me laissant seul avec l’image de son cul qui quitte la pièce et son parfum qui vole dans tous mes sens.

Mon coeur se brise. Ah, non, c’était déjà fait… enfin.

Quelques instants plus tard, un énorme employé énormément jovial vient me porter mes collants bruns ainsi qu’un déjeuner qu’il a dû préparer lui-même si je me fie à la grosseur de la portion (disproportionnée). Je me mets à manger de bon appétit, on est bien traité dans cet hôpital !

J’en suis à la fin de ma troisième assiette quand surgit la cerise sur le sundae de ma bonne humeur : LES TRONCS!

Popol et Culbuta, plus infirmes que jamais et maintenant tendrement amoureux, sont dans une forme surprenante (un couple d’homme et femme tronc avec des jambes, ça fait souvent une forme surprenante). L’amour a rendu mon Tronc-Juan plus ouvert et plus loquace.

Bien que j’aie été au cœur de la scène et que lui n’y ait jamais assisté, Popol ramène à mon souvenir la spectaculaire collision entre les autobus qui m’a laissé dans ce drôle d’état pendant des semaines. Il me raconte en vrac comment je suis entré à l’hôpital au moment même où eux devaient en sortir, comment ils ont veillé nuit et jour à ma sécurité, les démarches entreprises avec K’pa pour me procurer un super-casque (« désolé patron, je devais pas en parler, tu feras semblant d’être surpris ») et combien il est étrange que je me réveille à ce moment précis parce qu’elle est justement allé le chercher (ah, la vie). Il me narre tout ça d’un ton enjoué mais s’interrompt finalement pour prendre une pose solennelle (oui mon Solennel, à vos ordre mon Solennel):

- Mais maintenant que tu sais tout ça Mister. Il faut qu’on te parle d’une chose sérieuse.

- Qui a-t-il mes enfants ? J’use toujours de ce ton paternel pour les mettre en confiance.

Il regarde vers Culbuta, sa douce moitié, et me dit tout ému :

- Moi et ma pute, on va se marier ! On aimerait que tu sois garçon d’honneur.

Les Troncs ! Se marier?! Je me retiens pour pas me marrer. J’ai hâte de voir la tête du prêtre quand il leur demandera d’échanger les alliances. Et Mister garçon d’honneur ? Elle est bien bonne.

Je me fabrique un visage sérieux, noble, digne de la circonstance, avant de répondre:

- Culbuta, Popol. Ce sera un honneur pour moi d’accepter cette humble mission.

Ils sont au comble du bonheur et voilà K’pa qui entre dans la pièce, toute contente de me voir enfin réveillé. Elle porte dans ses bras un paquet-cadeau format super-casque. Tout le monde s’enlace tant bien que mal (surtout les Troncs) et K’pa m’offre le dit cadeau.

Je défais l’emballage, non sans faire à Popol un clin d’oeil gros comme le derrière de l’employé qui m’a apporté mes vêtements, et je m’exclame de la voix d’un cocu qui attrape sa femme au lit avec son meilleur ami le jour de son anniversaire :

- Oh ! Vous n’auriez pas dû!

C’est quand même chouette, un super-casque!


Je vous déclare mari et Aaarghh....
Près de cinquante voitures sont garées dans la rue menant à la charmante église du méconnu village d’Oncle-sur-Mère. Elles sont toutes décorées de fleurs et de condoms gonflés, coutume locale lors des mariages.

Longeant la rue en se dirigeant vers l’église, un pigeon les survole. Il laisse tomber quelques fientes au passage, juste pour la forme, perpétrant ainsi la tradition et entretenant l’éternelle discorde pigeon-voiture.

L’affiche de plastique blanc ornant le parking annonce : Ce dimanche, l’union de notre chère Culbuta et M. Paul Lentier alias Paul « Tronc ». Une orgie bénigne à la salle paroissiale suivra la cérémonie.

Le pigeon se dirige vers l’entrée principale. Quelques retardataires se pressent dans le grand escalier de pierre. Comme s’il devinait les intentions du pigeon, un homme en smoking noir lève les yeux vers lui et s’écrit : « merde » (en effet).

Le volatile, indifférent, franchit les deux portes de bois hautes et larges et pénètre à l’intérieur. Il s’arrête pour prendre un bain d’eau bénite afin d’être digne du saint lieu. Se faisant, il scrute la fresque touchante composée par les convives devant lui.

À gauche, les invités de la mariée en nombre nettement supérieur; Culbuta tenait à se marier dans son village natal. Les femmes sont habillées très légèrement, à se demander si la robe du prêtre ne contiendrait pas suffisamment de tissu pour les habiller toutes. Toutes sont jolies et souriantes alors que les hommes sont beaucoup moins beaux, plus gros, plus vieux, mais tout aussi souriants.

À droite à l’arrière, quelques amis et membres de la famille du marié dont plusieurs éclopés.

À droite à l’avant, ses parents se tenant par la main. Elle n’a qu’un bras, le gauche, et lui le droit. À cause de cela, les gens ont tendance à croire que le fils soit un né-tronc, mais il n’en n’est rien. Les légendaires malchances familiales sont à la fois la cause de l’allure des invités, des parents, du fils et du peu d’assistance à son mariage.

Derrière l’estrade, un choeur d’enfants et d’adolescents barbus venus de l’étranger.

En plein centre, les troncs chouettement vêtus, le prêtre dans sa soutane blanche, K’pa et nul autre que Mister moi-même avec mon collant brun, cape d’apparat et mon rutilant super-casque ! Pas qu’il soit de circonstance, mais ça leur fait plaisir que je le porte.

(Je vous entendais chialer depuis le début: « Mais où est Mister ? C’est quoi l’affaire du pigeon ? Je comprends rien. C’est platte. Gnagnagna. Gna-gna-gna.» Calmez-vous, me voilà.)

Même quand on s’appelle Mister Boy, il y a des moments dans l’existence que l’on espère ordinaires, calmes, banals et sans anicroches : le mariage fait partie de ceux-là.

Jusqu’à lors, ça va comme sur des roulettes. Les convives baillent, sourient ou pleurent selon leur tempérament. La chorale fausse. Le prêtre est ennuyeux à souhait. Son visage m’est vaguement familier et je me désennuie en tâchant de me rappeler, un, où je l’ai vu et deux, qu’est-ce qu’il fera quand les troncs devront échanger les alliances ?

La cérémonie bat son plein lorsque je remarque que mon Popol semble distrait de son propre mariage. Il suit d’un regard intéressé le vol d’un pigeon qui est entré on ne sait trop comment mais que les gens ne semblent avoir remarqué, trop absorbés par le prêtre qui entame la phase du discours que tout le monde attendait.

- Si quelqu’un a une abjection (abjection, oui) à ce mariage, qu’il se taise à tout jamais ou périsse dans les feux éternels de l’enfer pour avoir gâché une si belle journée.

La voix du prêtre ne m’est définitivement pas étrangère… ça me chatouille les méninges, mais avec le pigeon qui s’approche de nos têtes, j’ai d’autres «chats» à fouetter dans mon super-casque.

- Madame Culbuta, désirez-vous prendre le scabreux mais aimant M. Paul Tronc ici présent pour époux ?

L’oiseau lâche un truc que je prends d’abord pour une fiente parce que c’est blanc et que ça tombe d’un pigeon, puis pour une plume parce ça descend plutôt lentement et, finalement, pour un minuscule carré de papier, parce que s’en est un.

- Oué, j’en veux, de répondre poliment la future madame Tronc (mais qui a déjà tout ce qu’il faut pour le rôle, comme vous savez).

Le papier tombe délicatement sur la table devant mon Tronqué, mais je n’arrive pas à voir à cause d’un gros et inutile cierge électrique. Le prêtre poursuit son oraison sans se préoccuper ni du papier, ni du pigeon, et encore moins du cierge.

- M.Paul « Tronc », né Lentier, désirez-vous prendre la ravissante mais souvent déplacée Culbuta ici présente pour épouse ?

À ce moment, Popol tente de lire le papier en ce penchant discrètement vers la table puisqu’il n’a toujours (hélas) pas de bras pour l’amener à lui.

- Hum ! Fait le prêtre sans même lever les yeux.

- Évidemment ! De répondre mon acolyte un peu brusquement.

Hums, toux et murmures de désapprobation du côté de la mariée qui, on le sait, est en avantage numérique.

Faisant fi de cela, n’écoutant que son courage, Tronc se penche toujours plus en avant pour arriver à lire le fameux papier largué par le pigeon. Il est à environ 3 pouces du visage du prêtre qui poursuit sans relâche vers la phrase finale. Ça y est je sais où je l’ai vu!!

- Je vous déclare mari et Aaarghh…

Popol vient de mordre le cou du prêtre!!! Hums, toux et murmures de désapprobation générale. Il va y avoir de la casse !

- Mes madames et messieurs, dis-je…

La chorale d’enfants barbus déchire à l’unisson ses vêtements pour dévoiler des nains (une troupe de nains pour être exact) armés de haches, nunchakus, grenades, statues de la sainte vierge et autres objets contondants.

La foule se met à hurler et se précipite vers les orifices (traduction locale des mots « exit » et « enter »).

Relevant la manche gauche de sa soutane, le prêtre dévoile un crochet (tiens donc?!) avec lequel il tente de déchiqueter le tronc du Tronc (hep), mais l’autre n’a pas lâché sa trachée qui se met à saigner et à fumer (je m’en doutais, vous verrez!).

- À l’abordaaage! crie-t-il au bord de la démence.

Les nains se massent vers nous comme une armée de nains.

K’pa en saisit deux et leur rote des clous dans les yeux.

J’attrape et relance tant bien que mal les grenades, statuettes et autres projectiles créant des ravages considérables aux biens et meubles de l’église. La cohorte se disperse en hurlant.

Le pigeon a définitivement montré qu’il est dans notre camp et fonce en piquée sur les petits hommes.

Culbuta, expédie les convives restants à coups de pieds au … (ah pis, depuis quand je suis prude) cul pour leur éviter le pire et revient se joindre à la mêlée.

Le prêtre s’est libéré et crache de sa bouche et de sa plaie à la gorge deux flammes (de plus en plus intéressant!!). Popol avale la première et sa femme la deuxième. Ça ne sent le pain à l’ail et à la chair humaine mais je crois qu’ils vont encaisser.

Je lance une statue sur le crâne du prêtre qui passe de vie à trépas sans plus de cérémonie ; mais son sacré feu (ou vice versa) ne s’éteint pas pour autant! Les derniers soubresauts du pyromane sont dédiés à K’pa et la demi-douzaine de nains qui l’assaillent. Les esprits s’échauffent et les barbes s’enflamment. Elle rote des clous dont le fer fond sur ses ennemis. Elle se prend des coups de nunchakus, sur les jambes, les bras et les épaules. Avec grâce et agilité elle se penche rapidement pour éviter la dernière étincelle de Feu Monsieur le curé (trop chaud Mister, tsssssss!). Un nain avec un genre de super-casque lui saute la tête la première au visage. Déjà inclinée qu’elle était, elle s’écroule… comme la tour de Pise si on ne la retenait pas.

Le nain s’élance alors à toutes jambes contre un mur et se donne un élan qui le propulse à quelques mètres dans les airs. Il attrape par les pattes le pigeon qui malmenait ses amis. À l’atterrissage, il lâche l’oiseau et lui cogne les deux ailes de ses mains à plat comme dans les films de kung-fu… ça tranche ! Du jamais vu ! Un pigeon-tronc. La famille s’élargie.

La pauvre bête s’enfuie d’un pas décidé (c’est boiteux, je sais mais) sous un des bancs renversé par l’explosion d’une grenade égarée.

Je regarde autour de moi et vois au ralenti la scène cauchemardesque. Les rideaux et les barbes en flammes. La pierre, le plâtre et le marbre dévastés. Le sang sur les camisoles déchirées des enfants de choeur. Mes alliés hors d’usage ou se débattant du mieux qu’ils peuvent. Les armes au sol et le cadavre du prêtre fou tenant encore sa gorge fumante.

Il n’y a qu’un moyen de stopper l’affaire : attaquer le chef de la bande ! Je fonce vers le nain au casque. Comme s’il avait eu la même idée, il fait de même. Chef contre chef. Couvre-chef contre… (est-ce que j’ose?)… couvre-chef (Yé!).

Je place mes deux mains à la base de mon super-casque, me baissant de plus en plus. Mon vis-à-vis fait pareil. À quelques mètres de distance, je ferme les yeux et m’envole, ni plus ni moins, à l’horizontale.

En une fraction de quart de seconde, je pense au choc à venir, j’espère qu’ils n’ont pas acheté de la camelote, je pense aux pensées du nain et (si on se fie à Lord of the rings) à leur savoir faire en matière d’armures.

CRRAAKCKCK!!! Ma tête ! Je me relève à demi conscient. Nos deux casques sont brisés sur le sol, reliques de cette hécatombe, mais le nain ne bouge plus. J’ai gagné!
Je regarde autour, mais contre toute attente, les autres ne fuient pas. Ils ont même l’air plus enragés.

Un d’entre eux essaie d’attraper le pigeon dont la cachette a pris feu. Un autre tire à lui seul le corps inerte de K’pa vers le brasier de bancs d’église. Un petit groupe encercle les Troncs qui en ont (si je puis me permettre) plein les bras. Ils repoussent à peu près les attaques mais dilapident leurs ressources mieux qu’un joueur compulsif devant une machine à sous.

Voyant cela, je devrais être complètement abattu mais je prends une grande respiration et m’abreuvant à la source de lumière délicate filtrée par les vitraux, je sens venir un deuxième souffle de vie, une énergie pure, probablement divine. Dans mon esprit, les tumultes du massacre cèdent soudain le pas à des arpèges de harpe. Mes muscles sont frais, ma conscience tranquille.

Je relève mes manches, me crache dans les mains, je saisis la barbe du premier nain passant à portée et je commence à réaliser un fantasme universel et ancestral de l’humain : jeter des nains méchants hors d’une église en flamme en les battant avec un autre nain en le tenant par la barbe !

Ceci étant fait, je récupère mes amis qui se remettent de leurs émotions. Nous annonçons aux convives que l’orgie devra se faire sans nous, ce qui n’est pas sans leur déplaire mais qui, au bout du compte, est tout de même mieux qu’une annulation.
On profite de leur départ pour tenir conseil dans les décombres fumants.

- Que disait le papier ? m’enquis-je auprès de Popol.

- Attention au prêtre, il est dangereux…

- Sais-tu d’où vient le message ?

- Comment-tu veux?!

Il n'a pas tort. Je commence à leur expliquer que j’ai reconnu le prêtre et comment j’ai reconstitué l’histoire de tous nos ennuis.

Dans toute ma magnanimité, je vous explique aussi pour vous garder dans le coup. Écoutez sagement et forcez-vous, diantre!

Les problèmes ont débuté le jour suivant l’entrevue pour mon acolyte. J’ai jeté mon dévolu sur Popol et il s’est fait attaqué. Ce jour là, j’ai retrouvé 500 numéros de téléphone mais je n’ai pas bien compris de quoi il en retournait. Peu après que Popol et Culbuta aient été mis KO, je m’associe à K’pa. Elle est aussitôt attaquée pour servir d’appât dans l’attaque qui mena à mon coma. Vous me suivez? À l’hôpital et depuis ma sortie, les embuscades se succèdent; échecs lamentables peut-être, mais c’est dangereux malgré tout.

J’ai reconnu le prêtre comme étant le #642 à l’entrevue, j’ai oublié son nom, Old quelque chose, mais qu’importe. Je soupçonne fortement que les 500 numéros appartiennent à d’autres candidats. Même débarrassé du pirate cracheur de feu, des nains et de quelques autres, on est loin du compte et, par chance pour vous, pas au bout de mésaventures (mes aventures, c’est comme vous préférez).


QG de MISTER BOY's HQ
La tâche consiste à écrire le nom de notre QG sur une affiche de bois. J’aurais pu m’en acquitter moi-même mais je l’ai confiée aux vrais artistes et les regarde « manoeuvrer ».

Popol tient entre ses dents une lourde planche de pin (qui a dit tranche de pain?) pendant que sa charmante épouse, pinceau à la bouche (elle a l’habitude), trace de sa plus fine calligraphie les lettres qui orneront l’enseigne de notre quartier général : QG de MISTER BOY’s HQ.

Hé oui, enseigne bilingue pour un quartier général qui, pour plusieurs raisons, devenait de plus en plus indispensable (le QG pas l’enseigne). Je rêve depuis un moment de me rapprocher du bureau et mon lit d’invité, aussi king size soit-il, supporte mal K’pa, le pigeon et les ébats des nouveaux mariés. Ainsi donc, chambre séparée pour les uns, conjointe pour les autres et QG pour tout le monde. C’est ma tournée!

J’ai déjà reçu nombre de lettres d’inquiétude via le courrier des lecteurs se résumant à peu près comme suit :
« Oui mais Mister, est-ce bien sécuritaire de poser une affiche indiquant l’emplacement secret de ton QG?! ».

Situé à proximité de l’un des innombrables « Lac à’a truite » du pays et doté des commodités modernes telles que le poêle de fonte, la pompe à l’eau, la boîte à lettre et le bac à recyclage pour le courrier des lecteurs, ainsi que le téléphone à cadran, ce rustique QG de bois ronds est assez difficile à situer sur une carte. On est dans le bois mes agneaux, rien à craindre, sauf les ours peut-être, brutes sanguinaires. Sans compter que mon simple nom sur l’affiche arrêtera les plus cultivés d’entre eux.

- Oui mais Mister, d’objecter à nouveau quelques lecteurs craintifs (les mêmes probablement), ne serait-il pas plus prudent de se munir d’un QG high-tech comme tout super-héro qui se respecte ?

Si Senor Batman a besoin de tout son bataclan (bat-mobile, bat-cave, etc) et si le pape à besoin de tout son papaclan (pape-vatican, pape-mobile, pape-marchette, pape-pier-cul, etc), grand bien leur fasse. Ça témoigne de leur grande vulnérabilité. De mon côté, un peu de repos et de grand air suffiront… mes qualités personnelles feront le reste.

De plus, si par malheur quelque malfrat en venait à se jouer de notre quasi-infaillible vigilance, découvrir l’endroit et le détruire, nous l’aurions reconstruit le lendemain… pratique!

Finalement, pour terminer, soit dit entre nous et en guise de conclusion, ça revient beaucoup moins cher. Avec K’pa qui rote des clous, du bois plein la forêt et les Troncs (qui a dit Troncs d’arbres?) comme « main d’oeuvre », ne reste que le terrain à payer.

En parlant des Troncs, ils ont terminé la pancarte d’arrache pieds alors je les mets au repos et K’pa et moi on prend le relais pour la poser au devant de la cabane.

Cela fait, on s’attable pour manger un brin (qui a dit de scie?) et voir par où on commencera les démarches… on a du pain sur la planche (qui a dit pin sur la tranche ? non mais faut pas charrier).

Je distribue les ordres :
- Paul, on va envoyer le pigeon-tronc et tu vas le suivre. Espérons qu’il retournera à son propriétaire, un allié potentiel. Essaie de savoir comment lui-même a pu savoir pour le faux prêtre.

- Culbuta, j’aimerais que tu contactes de ta voix la plus suave les gens du bottin que j’ai pris sur le cadavre du gars qui t’a estropiée.

- K’pa, tu composeras les numéros et tiendras le téléphone, ça ira mieux.

- Je vais voir si j’arrive à réparer mon super-casque.

Chacun se dirige vers sa tâche et moi vers la mienne, non sans avoir ramassé les outils nécessaires à la dite et je terminerais ici ce splendide épisode charnière n’eut été des quelques incurables que j’entends à l’avance : « Y a pas eu de bataille, c’est plate ».

Donc en chemin vers l’établi adjacent à la cabane, je rencontre malheureusement un méchant fou-malade qui me veut du mal, lui cloue le bec, lui scie les jambes, le fout dans la vieille barque au bord du quai et lui troue la peau avec un vil(vraiment vil)-brequin. Je quitte les lieux pendant que son sang se transvide de son corps à la barque bientôt pleine qui coule à pic au fond du lac. Hourra.


Le Fantôme d'Old Stinky Poop
Je suis à la petite école; little Boy. J’ai oublié de mettre mes collants bruns mais personne ne semble s’en rendre compte. J’essaie encore de réparer mon super-casque pendant que la vieille madame Grinkle révise pour la centième fois des homophones. Normalement, elle est toujours gentille et démontre une patience extraordinaire envers les petits morveux que nous sommes mais aujourd’hui, il en est tout autrement.

Elle engueule la mignonne petite Candy qu’elle a fait venir au tableau. Elle enrage et postillonne tant et si bien qu’à un moment donné, les yeux lui sortent des orbites au bout de ressorts, crevant ses lunettes et se crevant eux-mêmes au passage… CLING-SPLOOCH ! Cri atterré des élèves : AAAAHH !

La petite Candy se remet à écrire de plus belle au tableau pour éviter la furie de la bête, mélangeant encore plus ses « on » et ses « ont ». Le nez de madame Grinkle se retrousse alors pour devenir une sorte de groin d’où suinte un pu jaunâtre et elle se met à renifler bruyamment le tableau pour « trouver l’erreur ».

Elle éjecte alors une giclée de morve fumante sur chaque faute à l’ardoise. Ses doigts se mettent à pendre mollement et à s’allonger comme si on les avait trempés dans quelque acide et elle saisi le cou frêle de Candy. Clack-Clack-Clack-Clack-Clack-Clack-Clack… toutes les petites dents de tous mes petits compagnons de classe battent frénétiquement la mesure de notre terreur commune.

Je n’ose pas réagir. Comme je n’ai pas de collants, j’ai peur d’intimider mes camarades et en plus, je n’ai toujours pas terminé de réparer mon super-casque, c’est horrible !

Je me réveille, baignant dans mes sueurs froides. Un cauchemar.

3h42. Heure du QG sur le vieux réveil crinquable does not glow in the dark. (Les moins crédules s’objecteront : « Comment tu vois d’abord? ». Come on, un peu de patience.)

J’ai une bonne vision nocturne en général mais cette nuit, il y a quelque chose qui louche, ça brille plus que d’habitude… trop.

Je lève les yeux du cadran et j’aperçois une forme éthérée qui diffuse une lumière blafarde dans toute la pièce. La chose glows in the dark, littéralement.

Je reconnais une forme humaine, trapue, bedonnante, avec un tricorne sur la tête, un crochet et un oeil de vitre qui regarde où ça lui chante (je savais que quelque chose louchait, j’ai trouvé!) et un oeil valide qui me fixe sous un sourcil broussailleux. Une espèce de parodie de fantôme de pirate…

Comme ça m’arrive souvent, le visage m’est familier mais je ne parviens pas à le remettre en contexte. Une chose est sûre, ce n’était pas un fantôme la dernière fois que je l’ai vu.

- Mister Boy, dit-il d’une voix d’outre tombe (il pousse le ridicule jusque là, je n’y suis pour rien), je suis Old Stinky Poop et je suis venu me venger ! (Tatam! Ça me revient… mais vous le saviez déjà.)

Là-dessus, il sort un vieux fusil à crosse de bois, il fait feu, remet de la poudre, la pousse avec l’espèce de Q-tip dont j’ai oublié le nom, insère une balle, repousse avec le Q-tip, refait feu et recommence la délicate opération un certain nombre de fois jusqu’à ce qu’il m’ait criblé de plomb !

Mais force lui est de constater que je ne meurs pas. Non mais… si les balles normales ne me tuent pas, vous ne pensiez pas que je succomberais à des balles fantômes ! Elles me sont passées au travers, tout bonnement.

- Arhg, s’écrie-t-il en jetant son pistolet et sortant une hache élimée (ça fait plus mal) pour m’en asséner quelques coups solides (ça reste à voir) à travers (c’est le cas de le dire) le crâne.

Pas plus de succès avec la hache qu’avec le fusil et là, c’est plus fort que moi, je me mets à rire.

- Tu peux rire Mister Boy, espèce de chien galeux ! Tu as ruiné mes plans diaboliques mais j’aurai ma vengeance. J’ai des amis surpuissants! Tu ne connaîtras jamais plus le repos.

Il disparaît et je continue de rigoler un peu dans le noir. Il m’a bien fait oublier mon cauchemar. Ajoutant l’insulte à l’injure, me moquant de sa toute dernière prophétie, je me rendors paisiblement.


Le Curé d'Oncle-sur-Mère
Éveillé tôt, d’humeur joviale, je convoque mes assistantes pour un déjeuner au balcon. J’en profite pour prendre des nouvelles de leur enquête téléphonique. Elles me regardent, mines déconfites, tous les numéros sont hors service et, mauvaise nouvelle, des noms de criminels notoires figurent au bottin, dont les pires parmi les pires : les frères Twins!

La seule réputation de ces deux-là suffit à donner froid dans le dos. Ils sont de ces méchants qui effraient même leurs semblables. S’il existait une machine à extraire le mal d’une personne pour en obtenir un concentré, ils y broieraient les restes d’Hitler, Jack l’éventreur et autres sommités, trinqueraient avec le jus et lécheraient le fond du verre pour ne pas perdre une goûte… du coup, me voilà moins guilleret.

Heureusement, le retour au bercail du Tronc et du pigeon nous ramène le sourire. Nos éclaireurs ont chacun une lettre attachée à la patte et si le volatile s’accommode aisément de la chose, le déjà burlesque Popol est hilarant dans sa détresse et son irritation.

Parce que le ridicule ne tue pas et qu’on doit se remonter le moral, je commence par délester l’oiseau et je laisse les filles rire encore un peu de notre compère. La lettre m’est adressée, elle est écrite dans un style ampoulé avec une calligraphie prétentieuse, me mettant d’emblée dans de bonnes dispositions vis-à-vis l’auteur:

« Cher Monsieur Mister Boy,
J’étais hier en prière quand Zachary, mon pigeon voyageur, revint en ma demeure. J’étais heureux de le retrouver mais il était bien mal en point le pauvre. Les plumes roussies et ailes tranchées, bandées par des amateurs.

Dans ma joie de le retrouver, je n’avais pas vu l’homme qui le suivait furtivement. Je fus pris de panique en l’apercevant, encore ébranlé par les récents événements et par la vue de mon pigeon éclopé. Je sortis donc prestement de sous ma soutane la précieuse carabine de Saint-Arnold-de-Schwartzy et lui criai d’une voix que j’espérai intimidante :

- Stop ! Les mains en l’air !

- Restez calme, je n’ai pas de bras, me répondit l’homme qui s’avançait en me dévisageant.

Il enchaîna derechef : « Monsieur le curé, c’est vous?! C’est Mister Boy qui m’envoie. On savait pas de qui venait le pigeon.».

C’est alors que je reconnu le type. Je ne l’avais vu qu’une fois et pas longtemps, lors des préparatifs de son mariage. C’était Paul Tronc, l’homme que j’aurais dû marier à Culbuta, une bonne fille de chez nous.

- Désolé Paul, dis-je en baissant mon arme. C’est qu’il y a eu du vilain ces derniers jours.

Nous prîmes quelques temps pour nous faire le compte rendu de nos épreuves.
Il m’expliqua les circonstances dans lesquelles il avait reçu le message de mon pigeon, me raconta le mariage interrompu et l’hécatombe que vous savez. Je remercie Dieu qui dans son infini bonté, m’a donné la chance d’intervenir.

De mon côté, je lui narrai habilement et avec moult détails comment on avait profité de mon sommeil pour voler ma soutane de cérémonie et comment je m’étais réveillé, ligoté alors qu’un homme déguisé en moi quittait la maison pour se rendre au mariage.

Je lui dis ensuite comment je m’étais débarrassé de mes liens et, hélas, du type qui montait la garde à mon chevet avec mon volumineux couteau de Saint-Sylvestre-de-Rambeau. Je complétai le puzzle avec le départ de Zachary le pigeon voyageur et mon message concernant le faux prêtre.

Écoutant le récit de ma pieuse intervention, Paul m’offrit de me joindre à vos croisades. Je déclinai poliment l’offre, lui expliquant qu’un modeste curé n’a pas sa place dans des histoires d’une violence inouïe et que le recours à celle-ci se fait bien à contre coeur dans des moments extrêmes et bien choisis et que ce n’est pas par goût mais par obligation que je garde quelques reliques des guerres d’antan parce que la jeunesse d’aujourd’hui a de moins bonnes moeurs que celle de mon époque, sauf à Oncle-sur-Mère évidemment. Après quoi, non sans quelques répugnances mais parce qu’il fallait rester poli, je lui expliquai le fonctionnement de quelques-unes des dites reliques dont le Golden-Gun de St-James et le Fouet de la Madonna.

Il semblait comprendre que je choisisse de me consacrer à une paisible vie monacale. J’ajoutai tout de même qu’il pouvait me contacter en cas d’absolue nécessité car la vie des fidèles passe avant ma propre tranquillité.

Nous terminâmes de nous raconter nos histoires tard en soirée. J’offris à Paul la chambre d’invité et nous prîmes congé l’un de l’autre pour la nuit.

J’espère que cette missive vous aura éclairé sur l’arrivée de Zachary au mariage. Ce qui fut dit à Paul est également valable pour vous et dussiez-vous avoir besoin de mes humbles capacités, faites-le moi savoir par le biais de ce pigeon que je confie à vos bons soins.

Bien à vous,
Père Bartolomeu. »

Le Tronc se dandine le temps que j’achève ma lecture, je dois mettre fin à son humiliation. La seconde lettre est beaucoup plus brève et adressée à Culbuta dans le patois local, je la lui tends et elle nous lit à voix haute :

- Culbuta, je vous déclare Paul et toi, mari et femme. Fais honneur à Oncle-sur-mère! Tiens-toi toujours en formes resplendissantes, cul dehors et seins devant. Amen. Barto.

Je l’entends dire ça et j’ai un mauvais feeling pour la suite des choses. En général, je ne me trompe pas (allez savoir pourquoi).


Boy, donnez-moi un MI...
Regardez nous.

Voyez K’pa d’abord, qui tente de garder un minimum d’ambiance dans le QG, s’occupant du ménage de routine et d’essayer de nous faire sourire malgré la situation. Voyez-la, passant son balai avec vigueur, nourrissant le pigeon-tronc avec une désinvolture soignée et faisant quelques badineries pour nous remonter le moral. Elle garde le fort tant bien que mal mais on sent que le coeur n’y est pas… elle se laisserait probablement aller si nous n’étions pas dans un pire état.

Pour continuer, zieutez moi-même, l’air sombre, en pleine réflexion, marchant de long en large, d’un mur à l’autre, passant et repassant inlassablement devant le téléphone à cadran comme un félin derrière les barreaux, nargué par un touriste obèse.

Finalement, si vous l’osez, lorgnez du côté de Popol. Il est avachi dans sa vieille chaise berçante, les yeux noyés de larmes et les pieds ensevelis de mouchoirs (je dis les pieds mais on ne verra bientôt plus ses genoux). Je ne sais pas si vous avez déjà vu un manchot se moucher, c’est l’une des scènes les plus chavirantes qu’il m’ait été donné de voir… la vie est cruelle; tant d’eau, de morve et de malheurs qui pleuvent et toujours pas de bras pour les éponger. Le Tronc chiale et n’en finit plus de nous raconter ce qui s’est produit.

Contemplez nous, disais-je donc, et vous conviendrez que quelque chose ne tourne pas rond.

L’explication à l’affairement de K’pa, à ma consternation et à l’effondrement du Tronc est là sur la table. Une lettre d’enlèvement dans les règles de l’art, avec des mots découpés dans un journal, demande de rançon et tout :

« Boy, je DÉtiens CULbutA. Donnez-moi UN MIllion de dollars POUR la reTROUVER vivante. NE prévenez pas la police OU il lui ARRIVEra malheur. Je vous téléphoneRAI pour la suite… »

J’ai encaissé une myriade de sévices. J’ai connu la torture, l’arrachage d’ongle, les brûlures, l’acide, la suffocation, les maux de dos, les maux de coeur, les maux de crânes, la lapidation, les coups, les couteaux, les machettes, les balles, les explosions,les blessures saignantes, piquantes, rêches, aiguës, graves, bénignes, malignes, les ampoules, les bleus, les jaunes, les rouges, les noires, les pourpres, les ton sur ton,les dégradés,les propres, les puantes, suppurantes, les sèches, les coulantes, les visqueuses, les bris, fêlures, dislocations, cassures… sans rechigner. Mais me faire chanter, moi ! Me menotter. Me réduire à l’impuissance. C’est douloureux !

Et Culbuta dans tout ça? Volatilisée ! Disparue. Houdini et The Illusionist font figure d’amateurs à côté de notre Kidnappeur.

- Je ne comprends pas, elle était là hier soir, dit Popol comme s’il lisait dans mes pensées avant de poursuivre sa variation sur un même thème… couchée tout contre-moi après notre partie de jambes en l’air (ne me forcez pas à vous redire qu’ils n’ont pas de bras) du soir. Et ce matin… (reniflement)… il s’interrompt finalement lui-même d’un râle pitoyable.

K’pa, toujours dévouée, vient le moucher cette fois.

De mon côté, je cherche les indices. Le message laisse croire que le type me connaît personnellement et a de vieux trucs à me reprocher… avec ces seuls critères, la liste de suspects est longue.

En plus, il veut de l’argent. Beaucoup. Ça ne va pas me faciliter la tâche. Entre vous et moi, être un héros n’est pas une besogne lucrative… et tout le monde n’a pas la chance de Batman.

- DRRRRINGG ! La sonnerie de l’antique téléphone me replonge enfin dans l’action.

- Allô?! M’enquis-je.

La voix de l’autre côté est caverneuse, probablement trafiquée.

- Mister. Un million en or, en pierres précieuses et en bijoux dans un coffre de bois livrable sur le navire Grimaldine qui sera au port dans une semaine à minuit.

- C’est trop ! Elle n’a même pas de bras. Un demi million. (Plainte de désespoir en provenance de la montagne de mouchoirs.)

- Non.

- Un gars s’essaye.

- Et pas de police, n’oublie pas. Clack ! (Ici, vous aurez compris qu’il vient de raccrocher sèchement et qu’il n’a pas dit « Clack ». Non mais…)

Je veux bien être castré si c’est pas ce fouareux de pirate Old Stinky Poop. Son style cliché, sa voix, le coffre, les pièces d’or, le bateau… tout y est… et il m’avait prévenu.

Commençons par trouver l’argent, histoire d’avoir une monnaie d’échange et après on verra.


C'est pour un dépôt
Lors du dernier épisode, l’enlèvement de la ravissante Culbuta laissait le QG et ses membres dans le désoeuvrement le plus complet. Après s’être manifesté une première fois sous forme de lettre de chantage, le ravisseur revint à la charge, sous forme de coup de fil. Un million en or, en pierres précieuses et en bijoux dans un coffre de bois; voilà ce que demande le type. Inutile de vous dire que c’est pas le genre de truc que je trouve dans mon bas de Noël (à côté des oranges).

Me voilà donc, sifflotant, en route vers la banque. Je fais plus ou moins la file pour le guichet, dépassant ici un myope absorbé par une revue douteuse (vous voyez ? non ? qui puis-je?) et là, une grosse madame en furie dont le « petit » a laissé choir la sixième boule de son cornet sur le précieux dallage de la caisse.

Arrivé au guichet ci-haut mentionné, la rouquine caissière me demande de sa voix de caissière affable :

- C’est pour un dépôt ?

- Oui, dans mon coffre, réponds-je de ma voix de petit épargnant content d’avoir quelque chose à déposer. Le tout ponctué d’un sourire à vous faire perdre la tête et la raison qui vient avec.

À ce stade-ci de l’histoire, le lecteur moyennement attentif se demandera comment je compte amasser de l’argent en faisant un dépôt. À situation semblable, tout bon vilain dirait qu’il est venu pour un gros retrait mais est-ce que j’ai vraiment une tête de Dalton ? Bon.

Tandis que je suis pas à pas l’employé de la banque qui a pris la relève de la chouette rouquine pour me mener vers mon coffre de sûreté, laissez-moi vous expliquer les détails qui vous manquent pour faire 1+1.

L’avant-veille, le Tronc et moi on est venu s’ouvrir un compte conjoint (il faut ce qu’il faut). Hier, il est venu pour un premier dépôt. Il a fait sonner le détecteur de métal et a déballé de son sac des bidules variés dont ils n’ont jamais saisi l’usage tant et si bien qu’ils l’ont laissé passer se demandant tout de même pourquoi il voulait mettre en sûreté les trucs en question… Mais me voici rendu à mon coffre, on reprendra cette conversation plus tard…

- Vous pouvez entrer votre code Monsieur, m’annonce le vieux chauve-souriant en me tendant un clavier qu’il a débarré (lui-même et pour ma plus grande sécurité).

Je tape mon code (moi-même et pour ma plus grande sécurité) m’assurant (même si je suis déjà assuré) qu’il ne regarde pas.

La porte s’ouvre : tadam ! (le sac du tronc est là).

- Vous avez jusqu’à 20h00 maximum, tapez votre code de l’intérieur et l’on viendra vous ouvrir. Courbette obséquieuse.

La porte se ferme.

Je sors de mon sac les morceaux manquants. Heureusement Popol a commencé l’assemblage… ah oui, je vous oubliais : on a fabriqué une machine mi-plastique mi-métal qui ouvrira les coffres de l’intérieur sans déclencher les systèmes de surveillance. En très gros, ça ressemble à une chain-saw avec une antenne (vous voyez cette fois?). On pouvait pas la rentrer d’un coup pour cause de suspicion alors je dois terminer l’assemblage amorcé tant bien que (et principalement) mal par mon copain manchot. Et voilà! Terminé tout en vous jasant, ÇA, c’est du multi-tasking avec un grand B… comme dans Boy.

Me voilà donc avec des écouteurs sur crâne et ma scie (je l’appellerai comme ça pour ne pas vous embrouiller) dans les mains à scanner les murs pour savoir lequel j’ouvre. L’engin est muni d’un détecteur d’or et de pierres précieuses et je compte me frayer un chemin de coffre en coffre jusqu’à un bien rempli.

Faible signal sur ma gauche, j’ouvre et je tombe sur une chambre forte décorée avec des rideaux fashion et tout??! Il y a même pas de fenêtre bande de… qu’importe.

Je découpe ensuite une porte à droite. Oups, pas de chance ! Le locataire du coffre est là, comptant ses pièces d’or et triant ses bijoux comme les vieux Scroudges des livres pour enfants. Il est sous le choc, on dirait que c’est lui et pas moi qui vient de se faire prendre en flagrant délit. Il regarde bêtement ma machine, le casque, la scie, l’antenne mais je sais que l’émerveillement ne durera pas.

Heureusement, on avait prévu le coup et on a intégré à la scie un système de rayon paraly… qu’est-ce que je raconte?! J’ai rêvé faire ça mais on a jamais réussi. Faute de mieux, je me résigne au classique mais indémodable coup de poing au menton. Effet soporifique immédiat, comme une berceuse de grand-maman Boy.

Je prends rapidement ce dont j’ai besoin, c’est facile puisque tout était déjà trié et compté. Je place le tout dans mon sac, mais rien de plus (le gars a probablement pas fait fortune honnêtement, mais qui suis-je pour en juger?). Je me dévêts de mon « scaphandre » et j’en habille le type. Je le traîne dans le coffre art-déco avant de retourner à mon propre coffre, refermant à demi le mur derrière moi.

Je compose mon code. L’employé vient m’ouvrir et me raccompagne. Je repasse côté client régulier. Clin d’oeil à la fille qui se met à baver sur le livret d’un pauvre (haha) épargnant.

Et voilà le travail. J’aurais vraiment aimé voir le moment où ils récupèreront le gars avec mon ouvre-murs, mais tant pis. De notre côté, on était inscrit sous de fausses identités. Je mets le feu à ma barbe… postiche… et la jette dans une poubelle, ça occupera les pompiers.

Phase 1 du plan : succès flamboyant ! Ne reste qu’à faire l’échange et récupérer Culbuta.


Au port camarades
Dans ma giant caboche, sous mon super-casque, je m’étais dit que le plus difficile serait de se procurer l’argent de la rançon et que le reste serait un jeu d’enfant; que nenni !

Nous voilà donc au port, tout est calme, les bateaux amarrés grincent et s’entrechoquent doucement au gré des vaguelettes, ça sent les algues et le poisson pourri… il est près de minuit. Mes trois acolytes et moi allons en file indienne et en ordre de grandeur : Zachary, le pigeon tronc, éclaireur discret, ouvre la marche, suivi de près par K’pa, fière amazone, moi-même, cerveau et direction, et finalement Popol portant sur sa tête, comme une mama africaine son paquet de chiffons, le coffre rempli de bijoux et d’or exigé par le kidnappeur.

Hormis Popol qui trépigne à l’idée de revoir et de baiser (la main de) sa charmante épouse, on est pas trop nerveux; l’échange devrait être une formalité, du genre :

- Donne l’argent.

- Non ! La fille d’abord.

- Les deux en même temps alors.

- Ok, donne moi le pied de la fille et prends une poignée du coffre, on compte jusqu’à trois, on tire et chacun part avec son bagage.

- 1-2-3.

- Ce fut un plaisir de faire affaire avec vous.

- De même.

On cherche donc sans se presser le navire Grimaldine où doit se faire l’échange. Le voilà là (la la la). On se hisse tour à tour sur le pont, hop-hop-hop et hop. Le vieux fantôme d’Old Stinky Poop est là (je vous avais dit que c’était lui alors pas besoin de faire semblant d’être étonnés) entouré de plusieurs hommes déguisés en pirates qui détonnent dans cette marina de banlieue.

« À l’heure comme prévu, (fond de) tonne le chef de la bande. Amenez la fille! » Sur quoi, il snappe de ses doigts vaporeux. Trois gars viennent s’ajouter à la demi-douzaine déjà présente. Ils portent un tapis d’où dépassent des pieds furieux, se débattant comme au premier jour de la capture. Voyant cela, Popol émet un grognement sourd que je réprime d’un modeste coup sur le tibia.

- Vous avez l’or ? me demande le spectre.

- Bien sûr, dis-je en délestant mon compère du poids qu’il a sur le crâne. Voyez par vous-même, tout y est. J’ouvre le coffre pour qu’il voie combien ça brille.

- Maintenant, donne l’argent !

- Non ! La fille d’abord. (remarquez ici comment se créent généralement les impressions de déjà vu).

- Allez Mister, on connaît le protocole.

Ses gars approchent et nous tendent les pieds de Culbuta dont K’pa se saisit. J’offre une poignée du coffre à un de ses hommes. Et, troublant le calme portuaire, tous autant que nous sommes, on compte à voix haute, forte et enjouée :

- Un bateau-bateau, deux bateau-bateau… trois!!!

Ce qui s’est passé ici se déroule un peu vite pour vos yeux de taupe alors je vous le décris tranquille, de long en large.

Au compte de « deux bateau-bateau », les hommes se passent le coffre rapidement d’une main à une autre jusqu’à la cabine qui se referme net.

Au compte de « trois », K’pa tire sur les pieds qui sortent d’un coup du tapis dévoilant des jambes, des fesses, un ventre, des BRAS ?!? et une tête qui, quoi que (comment?) splendides à souhait, ne sont pas à Culbuta. À peine s’est-on aperçu de la traîtrise que nous sommes projetés par dessus bord, surpris par le bateau qui démarre et aidés par de généreux coups de pieds dans le bas-ventre.

Dans la flotte boueuse, K’pa et l’inconnue nagent avec grâce vers les quais tandis que je porte secours à Popol. Le gars se débrouille comme il peut avec ses jambes et tient Zachary dans sa gueule pour le sauver de la noyade… sort auquel le pigeon ne semble pas se résigner docilement puisqu’il roucoule à tout rompre, tant que faire se peut.

Je suis accueilli en sauveur sur la berge par deux filles trempées qui se livreraient une chaude lutte dans un concours de wet t-shirt. Mais on ne flâne pas et après une brève étreinte de chacune d’elles, je confie Popol et Zachary aux bons soins de la petite sirène et j’entraîne K’pa vers un bateau à moteur tout proche. J’eus préféré me faire donner le bouche à bouche mais le tout puissant, qui m’a fait à son image, me prive ainsi de ce menu plaisir.

L’avantage des excentricités de notre ennemi, c’est que son bateau à voile, aussi fier soit-il, ne se déplace pas comme notre yacht et on aura tôt fait de le rattraper.

[Laissons-nous sur cet extrait du prochain épisode…
- Je vous le demande pour la dernière fois (c’est aussi la première mais on sauve du temps) : où est Culbuta ?
- Mais puisque je vous dis que je ne le sais pas!!]


Le sang dans les voiles
Tandis que derrière nous, le quai s’éloigne à une vitesse effarante, le navire Grimaldine droit devant retrouve les proportions qu’il avait lorsqu’on en fut éjecté.

Et à mesure que nous gagnons du terrain remontent en moi, la honte de m’être fait berner, la rage de m’être fait berner et la soif de vengeance après m’être fait berner. Le tout ne pouvant être exprimé aussi clairement à voix haute que par écrit, je le résume par un « AAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHH!!!!!! » de super-héraut (héros, si ça vous chante) exulté par ma gorge virile et puissante, rapidement harmonisé à la tierce (la quinte, ou la septième mineure, qu’en sais-je ? je ne suis pas les Beatles) par un second « AAAAAAAAAAAAA-
AAAHHHHHHHHHHHHH! » dont K’pa pourrait s’enorgueillir si elle n’était déjà tant occupée à exprimer ses propres envies meurtrières.

[À ce stade-ci du récit, si vous n’y comprenez rien, il conviendrait de reprendre du début cette épique série d’aventures. Si vous préférez avancer aveuglément comme Stevie Wonder en visite dans le métro de Londres, je vous en conjure :
« Please, mind the gap ».]

Notre yacht parvenu à la coque du Grimaldine, nous nous lançons dans un abordage à faire pâlir Obélix et son petit sidekick à moustache.

Sur le pont nous attendent une dizaine de pirates dont chacun est à quelques détails près une copie du précédant tant et si bien que l’on peut se livrer à une petite game de « trouver l’erreur » en les observant. Ici, un bouchon de liège est fixé à la pointe d’un sabre. Là, un monocle remplace l’oeil de pirate. Ailleurs, un pélican se dresse sur une épaule à la place d’un perroquet. Et encore : un chapeau de capitaine avec un journal de Montréal en origami, un pompon de cheerleader à la place d’un crochet, un joli Gaëtan au lieu du Jolly Roger, une patte de chaise Louis XIV en guise de jambe de bois… et malgré tout, ils nous attendent de pied ferme.

K’pa donne le ton à l’assaut en rotant des clous (savez-vous roter des clous, à la mode…), envoyant les perroquets se ficher un à un le long du grand mat, décorant les voiles de fines gouttelettes rouges et de plumes multicolores. Le totem est ensuite coiffé par la tête du pélican dont K’pa tient encore le corps giclant comme une bouteille de mousseux dans la chambre d’une équipe sportive victorieuse (de votre choix).

Pendant qu’elle les asperge copieusement du sang du volatile, les pirates poireautent et je courge à toute vitesse pour me saisir de l’ancre du navire (tout en te concoctant au passage une phrase avec trois noms de légumes qui se marient bien dans un potage : APPLAUSE!).

La chose en main, je sépare la partie incurvée de la partie droite reliée à la chaîne (voir le schéma ci-contre) de manière à me fabriquer un boomerang d’une tonne de bouquins : 2 204 livres. Je balance ensuite mon arme de fortune qui frappe de plein (piètre vocabulaire, mais allons-y pour) fouet la tête du premier antagoniste.
Dès lors, j’attends, main tendue, que me revienne cette copie géante d’artefact australien mais, dû à une fabrication bâclée ou à son poids inusité, l’objet poursuit sa trajectoire rectiligne et n’est arrêté ni par les têtes ni par les dents, si bien qu’à l’instar de Free Willy, il termine son voyage dans l’océan, nous laissant sur le pont avec, à l’instar de Rambo, une bouillie de cadavres et, à l’instar de Pamela Anderson, quelques corps gémissants.

Sans égard pour les survivants, nous nous précipitons dans la cabine du capitaine. Vide ! On fouille la pièce pour trouver rapidement la rançon qu’on nous avait dérobée et le commandant second recroquevillé au fond d’un tonneau.

Pour le punir de s’être caché, je le claque d’abord avant de lui balancer cette
phrase que vous avez pu lire dans les previews (feignez la surprise) :

- Je vous le demande pour la dernière fois (c’est aussi la première mais on sauve du temps) : où est Culbuta ?

- Mais puisque je vous dis que je ne le sais pas!!

- Et Old Stinky ?

- Mais puisque je vous dis que je ne le sais pas!! (ma claque lui aura embrouillé l’esprit).

Bien décidé à ne pas entendre une troisième fois cette réponse qui, vous en conviendrez, ne m’avance guère, je prends sous mon bras le tonneau et son contenu et retourne sur le pont pour réfléchir à la suite des choses. À la vue des restes de ses camarades, le contenu du tonneau pâli sensiblement (3 teintes en une seconde, je doute que votre blanchisseur de dents en fasse autant).

« Toujours soucieuse d’occuper ses temps libres, K’pa entreprend de trier les bons des mauvais corps… les premiers se distinguant des seconds par le cri qu’ils émettent lorsqu’on les cogne contre le bastingage. Les premiers seront mis dans une pile pour être utilisés ultérieurement, les seconds balancés illico dans la mer, au grand plaisir de la faune locale. »

Ayant décrit à voix haute le processus, je m’enquiers auprès du gus dans le baril :

- Alors mon cher, vous joindrez-vous à l’équipe des bons ou des mauvais?

- NOOOOOOON !

- Non quoi? (vous comprendrez que je ne comprenne pas sa réponse…)

- Il est parti la rejoindre sur l’îîîîîle !

- Quoi ? m’entêtai-je avec flegme.

- L’îîîîîle, voici la carte ! La carte !

- Mais diantre, répondez à la question.

- L’équipe des bons !

- Ah.

Sur quoi je le balance dans le charnier où il est accueilli par quelques « aïe! » peu enthousiastes et un bruit de soufflet partiellement obstrué.

La carte que je déplie est parsemée d’îles et je suis navré de constater que l’une d’elles effectivement marquée d’une grosse croix en dessous de laquelle on a écrit « repère the pirates » (fautes en prime). J’en viens à me demander si l’on ne veut pas me faire mourir d’ennui.

Je laisse le yacht et la carte à mon acolyte pour aller chercher les renforts. Je plonge pour me rendre à la nage et de mémoire au lieu désigné.

À une vitesse de 5 exposant 23 noeuds, j’y serai pour le début du prochain chapitre, sinon vous commencerez sans moi.


Repère les pirates
Après la pléthore d’anachronismes servie par Old Stinky Poop, la carte marquée d’une croix m’avait laissé imaginer une île déserte et désuète ; quelques palmiers, deux dunes et un rocher en forme de tête de mort plantés au milieu d’un océan azuré, gardés par un banc de requins…

Je suis pour le moins étonné. À mesure que j’approche de l’île, des gratte-ciels se profilent à l’horizon, ça grouille de bateaux et de monde et, cadeau des industries bordant la plage, l’eau passe de saline à saumâtre, à poisseuse pour finir visqueuse, ni plus ni moins.

J’arrive du côté des docks. Une haute paroi en ciment me force à continuer de nager. Tout près de moi, dans la flotte nauséabonde et déjà saturée, une bouche d’égout déverse un flot d’immondices. Parmi d’autres, je vois tomber des bouts de bois, des seringues, un rat, une vieille mitraillette, des poissons crevés et une chose tellement inattendue et dégueulasse que je vous l’offre en devinette. Mon premier est incomplet, mon second est exquis, mon troisième a déjà concocté des plats savoureux mais mon tout donne la nausée. Qui suis-je? Un demi cadavre de cuisinier.

Surmontant mon dégoût, je patauge discrètement dans la soupe brunâtre essayant de jauger les activités de l’endroit. Dans un décor gris béton, des dockers s’affairent entre des grues et des containers rouillés. Ils transigent de la marchandise anonyme dans toutes les directions : bateaux, camions, entrepôts et océan. Au-dessus de ma tête, quelqu'un balance une caisse de bois. Je me protège comme je peux des éclaboussures tâchant à tout prix de garder la tête à la surface (je n’ai surtout pas envie de savoir si ça goûte ce que ça sent). Ce faisant (plouf!), je rate l’arrivée d’un deuxième objet derrière moi et me voilà aspergé. Je me retourne pour découvrir une carcasse blafarde qui, inutile de vous le préciser, n’est pas une poupée gonflable mais bien un second cadavre. J’ai une pensée pour Culbuta et (coïncidence) un frisson me chatouille l’échine avec un rabot. Inutile de m’attarder, je dois sortir d’ici.

Je continue de nager le long de la paroi de ciment jusqu’à ce que je croise (alléluia!) une échelle de fer rouillée destinée aux petites embarcations. Mettant pied à terre, je m’offre un tour de reconnaissance. Malgré ma baignade dans l’eau plus que douteuse, personne ne semble faire attention à moi. L’endroit est vaste et bondé ; il me sera plus ardu que je croyais de « repérer les pirates ». En contrepartie, je pourrai aisément trouver une cachette et attendre les renforts sans attirer l’attention : ce que je.

Le temps passe et la nuit tombe, dissipant les bandits… ceux qui restent passé le couvre-feu doivent être terriblement redoutables.

Je profite de l’obscurité pour dénicher une toilette pour faire la mienne. J’essaie le robinet, pas de chance, il a rejoint depuis longtemps le paradis de la quincaillerie. Je me retourne, la cuvette est à ce point crasseuse que la majorité d’entre vous rechignerait à l’utiliser pour les basses besognes… j’hésite (ça arrive même aux meilleurs) à m’y laver le visage. En quête d’une alternative, je soulève le couvercle du réservoir ; l’eau qui si trouve n’est certainement pas potable, ni même propre mais avec ce que j’ai vu aujourd’hui, elle se mérite au moins le qualificatif de convenable (un petit verre d’eau convenable quelqu’un). Je me décrotte avec une joie indicible et (l’odeur aidant) j’ai presque les larmes aux yeux. Satisfait, je regagne discrètement ma planque pour la nuit.

Averti par mon dixième sens (que voulez vous de plus), je m’éveille vers (coup d’œil à la position des étoiles) 5h02… il va se passer quelque chose. J’attends quelques secondes et voilà que se fait entendre le léger ronron d’un moteur nautique.

Je me faufile hors de ma cachette pour aller me poster près de l’échelle de fer donnant accès à l’eau. K’pa s’amène au volant du yacht que je lui ai confié. Elle m’envoie la main. À mon grand désarroi, elle est seule, sans Tronc ni pigeon. J’imagine (et vous aussi) qu’on comprendra plus tard.

Alors qu’elle arrive à portée de l’échelle, je repère dans son sillage trois périscopes menaçants comme des ailerons de requins. « Attention! », je lui crie. Mais trop tard, trois sous-marins noirs avec des canons sur les flancs s’extirpent de l’eau d’égout (d’égout quoi?) dégoûtante, libérant des profondeurs une odeur pire encore que celle régnant en surface.

J’attrape le premier caillou à portée de main pour couler le premier sous-marin à portée de tir en chantant (sur un air assez approximatif) « get back, na-nan, get back, pa-pan, get back ta-ta-ta once belong ». La carcasse de ferraille éventrée nous offre un naufrage style Titanic ; probablement repoussée par les effluves putrides, elle s’y reprend à deux fois avant de sombrer définitivement. Les occupants n’ayant pas sauté par-dessus bord s’agrippent fermement pour ne pas entrer en contact avec l’eau mais en définitive, ils sont engloutis comme le reste.

Sur les deux autres sous-marins, des pirates, grappins en main, attendent le signal comme des chiens dressés avec une croquette sur le museau.

- À l’abordage! , aboie l’un d’eux.

- AAAAAhh! , glapissent les autres en se ruant sur le yacht au son des canons.

- Meeeuh, meugle K’pa. En se prenant un boulet dans le ventre.

- La vache, me dis-je.

Je neutralise les premiers se ruant sur K’pa avec des tirs de cailloux précis mais je me retrouve rapidement à court de munition. Rapide coup d’œil en quête d’un autre projectile… ÇA fera l’affaire. ÇA est un container bleu de 10 mètres par 4 plutôt lourd qui s’abat dans un fracas infernal sur le second sous-marin qui entonne (pour ainsi dire) son chant du cygne. Ne reste que le dernier.

Comptant utiliser la même technique pour en venir à bout, je prends un nouveau container mais un grincement alarmant me fait tourner la tête. Une grue s’est mise en marche et balance vers moi une boule de pétanque puissance mille. Je lui lance ma boîte de fer. Je rate la boule qui me frappe sur la tempe mais j’attrape la grue. On pourrait considérer cela comme un match nul mais par mouvement de balancier, la boule revient me frapper l’autre tempe. Grue 2 - Mister 1. Je suis totalement sonné, même avec mon casque. Je tente un pas à l’aveuglette. Erreur cacastrophique! En tombant dans le vide, je compte les barreaux de l’échelle de fer avant d’atterrir tête première sur le devant du yacht : 52. Je me sens défaillir, deux fois dans le même roman, ça devient une habitude!

Si je retombe dans le coma, rendez-vous au chapitre 6.
Si je m’évanouis et que l’on me fait prisonnier, rendez-vous au chapitre 17.
Si (tout comme moi) vous préférez les livres dont JE suis le héros aux livres dont VOUS êtes le héros, cessez de vous plaindre et passez votre chemin.


L’antre des frères Twins
Je vous imagine bande de pleutres! Avachis dans vos chaumières, dans un bureau ou dans les transports en commun, bouquin en main. Un bouquin, une lueur enfin dans votre routine où défilent tour à tour les mornes écrans de votre télé, de votre ordinateur et de votre portable… dans cette vie ou jamais vous ne trouvez le courage (alors que vous en mourez d’envie) de beugler: 3-2-1-ACTION!

Pendant ce temps, je suis captif dans une pièce qui peut rappeler (selon votre éducation) une église, une salle du trône ou un vieux théâtre. La colonne magistrale à laquelle je suis ficelé (à 6 mètres du sol) est la dernière d’une longue rangée menant à une scène. Face à moi, de l’autre côté de l’allée centrale, j’aperçois K’pa. Elle est attachée elle aussi, mais cela ne la préoccupe guère, toute occupée qu’elle est à roter des clous qui vont s’éparpiller 6 mètres plus bas dans un clouquetis métallique.

D’où on est, on a une vue imprenable sur la scène et, n’eut été de l’inconfort des liens nécessaires à nous y maintenir, on aurait pu vendre nos places à prix d’or. Devant nous, un spectacle rare : les frères Twins en grande dispute. Vous vous souvenez des frères Twins? Les pires des pires? L’apothéose de la cruauté? Non? Qu’importe…

Vous devez savoir qu’au même titre qu’il existe des Lebeau pas beaux, des Lebrun pas bruns, des Legros pas gros et des Leclerc pas clairs, les frères Twins ne sont pas plus jumeaux que vous et moi (ce qui n’est pas peu dire).

Le premier né est grand et il a un visage qu’on pourrait qualifier d’affable si l’on fait abstraction de sa balafre de râteau mal cicatrisée, de sa calvitie mal cachée par quelques cheveux sales, de son menton jadis en fesses où l’on croit maintenant discerner l’empreinte des dents de son frère, de l’œil crevé qu’il n’a pas la décence de cacher derrière un « sympathique » œil de pirate et de l’oreille noire où il a l’habitude d’éteindre le cigare qu’il a actuellement dans sa gueule… à quelques détails près, définitivement affable.

L’autre, le petit, est de beaucoup, plus effrayant. Il porte actuellement un chandail vert forêt « I love Maine » trop ample avec une tête de loup, lequel chandail dissimule entièrement ses shorts (on se prend à espérer qu’il en porte). Du bas du chandail, sortent deux pattes musclées et velues qui s’enfoncent directement dans des souliers à cap de titane. De la manche gauche pend un bras pour l’instant inerte mais que l’on devine vigoureux à ses heures à cause de la main ornée de phalanges à cap de titane également. Le poing droit quant à lui gigote de manière furieuse sous le nez du grand frère. L’homme n’a presque pas de cou et un bison ayant sa tête livrerait fièrement bataille lors des combats nuptiaux. Sa dentition a cela de particulier qu’elle commence aux canines, en titane toujours. On ignore comment exactement les incisives on quitté leur socle mais on sait qu’elles n’y étaient déjà plus lorsque l’autre frère perdit les fesses de son menton.

La querelle n’est pas de savoir s’ils veulent nous tuer, c’est déjà décidé. Il y a la rançon promise par Old Stinky Poop, et Tuer Boy, ça effraie la concurrence. Ils veulent cependant trouver une manière amusante de le faire et ne s’entendent pas sur le degré de précautions à prendre…

Le grand des Twins a peur que je leur file entre les pattes dès qu’on me déliera, j’en suis flatté.

Le petit étale son érudition en matière de torture : écartèlement, poumons d’argile, don’t spare any ribs, le boucher de Séville, rotules cache-oreilles, œil dans le vinaigre, auto-pédérastie, crotte sur le cœur, autant en emporte les dents…

J’ai de la difficulté à me concentrer.

Et K’pa qui n’en fini plus de roter des clous.

Et vous qui criez : ACTION!!!


Besoin d’évasion
« Besoin d’évasion? »

Je me marre en voyant l’affiche présentant un gars, une fille, une plage, une mer et un ciel genre paradis (les nuages en moins) pendant que K’pa et moi on est dans un fond de ruelle plus crasseux que les sous-vêtements de ma vieille le jour où on a décidé qu’elle était mûre pour l’hospice.

Je me marre mais n’empêche qu’on en avait foutrement besoin de l’évasion.

Je sais pas si vous vous souvenez mais on était dans une situation que des auteurs de pacotilles qualifieraient de fâcheuse. Moi-même je la qualifierais de… eh pis merde, retournez lire le début de l’histoire et vous comprendrez mieux.

On était dans l’antre des frères Twins K’pa et moi, attachés, ficelés, K’pa rotait des clous frénétiquement et les frères Twins s’entretenaient de manière conviviale pour déterminer la manière et l’heure de notre mort.

Je me marre, mais j’étais inquiet tantôt. Je regardais K’pa roter ses clous, rempli de doutes quant à la capacité de mon acolyte à réagir à une véritable situation de crise jusqu’à ce que je réalise que, loin d’être prise de panique, elle s’affairait plutôt à une tâche ingénieuse, précise et salvatrice.

Quand on rote un clou, c’est toujours le pointu qui sort le premier (logique). K’pa visait adroitement le lien qui la retenait et elle était rendue précisément au point de rupture. Dans un élan de magnanimité, je vous épargne toutes les fois où elle a manqué et le nombre exact de rapports de clous nécessaires pour trancher une corde grosse de même. Donc, on en est là…

La corde casse et K’pa descend habilement le long de la colonne sans attirer l’attention des Twins. Elle me lance sa corde que j’attrape entre mes dents et elle monte pour me détacher mais au moment où mes liens rompent, on tombe 6 mètres plus bas tout les deux dans un fracas fracassant (non mais).

On se relève à toute vitesse, prêts pour une poursuite infernale. Avec le vacarme qu’on a fait en dégringolant, on se dit que les frères vont arrêter de se disputer et venir s’en prendre à nous mais que neni ! Ils n’ont rien entendu : ils se battent!
Un tableau d’une candeur touchante. Le Grand Twins (Oeil crevé) a déposé son cigare dans l’oreille de son frère pour mieux pouvoir le reprendre à la fin de l’escarmouche. Le Petit (que j’ai surnommé Titane) a perdu son chandail à tête de loup et est nu-cul en dessous. Les deux s’invectivent copieusement dans une position qui n’est pas sans rappeler la lutte gréco-romaine, le rugby, le sumo et, surtout, Frankenstein contre Toxic le Ravageur.

On en profite pour se glisser à l’extérieur du théâtre mais on tombe sur cinq sbires boutonneux armés de machettes rutilantes qui, quoi qu’elles (comment?) aient un air anachronique semblent en parfait état de marche. Vous me direz qu’une machette ça n’a pas une mécanique bien compliquée, peut-être mais ça demande quand même un minimum d’entretient.

Contrairement à un film d’action minable, les gars n’attendent pas en file qu’on les bute, ils attaquent comme un seul homme.

K’pa me prouve une fois de plus que j’ai bien fait de la prendre comme compère. Elle se saisi d’un premier assaillant et lui rote une giclée de clous dans les pantalons. Il a tôt fait de lâcher son arme (pour saisir son pagne) et elle de la reprendre. D’un seul geste, elle fend la gueule d’un autre (il emportera ce dernier sourire dans la tombe) et frôle la joue d’un troisième (boutons de machette quelqu’un?).

Ne perdant pas mon temps, je fonce en criant sur les deux qui restent. Les bras en T majuscule, je cours entre eux, les décapitant presque au passage. Ça fait BO-BONG (ils étaient mal alignés) mais seulement un PLOF à ma gauche. Je sais donc que celui de droite est toujours debout. Je me retourne en donnant un coup de pied solide ! PLO-PLOF!??

Vous aussi ça vous semble étrange deux PLOFS ? Mais au moment même où je donnais le coup final, K’pa effectuait une manoeuvre similaire avec le sbire frôlé précédemment dont nous ne reparlerons guère maintenant puisqu’il est hors d’usage.

K’pa jette nonchalamment la machette ensanglantée aux pieds du gars qui a des clous dans les couilles et il se casse (sans nous les casser).

On se pousse un peu plus loin et on se retrouve bien heureux dans cette ruelle sale sous cette affiche de voyage de merde. Je me marre.

Chacun son paradis et vive l’évasion me dis-je en débouchant sur une rue à peu près convenable :
"Taxi!"


Quand les Saints s’en mêlent
Le chauffeur de taxi est un escroc autonome, affilié ni aux frères Twins ni à Old Stinky. Je lui demande de tourner en rond dans le trafic le temps que K’pa et moi fassions un bilan de la situation. Il accepte avec plaisir de regarder monter le compteur. Je commence par l’essentiel, à savoir : qu’est-il advenu de mon «bras» droit?

- Où est Popol? je demande.

- Après avoir jeté un coup d’œil à la carte que tu m’as laissée, il l’a grattée avec son gros orteil comme un billet de loterie, il l’a sentie, il a sauté dans un pédalo qui traînait au bord du quai et s’est poussé sans rien dire. J’ai essayé de le retenir, mais rien à faire.

K’pa s’interrompt pour fouiller dans son sac. Une autre que celle-là, on entendrait un bruit de monnaie, de papier, de produits cosmétiques, elle ne trouverait pas et je m’énerverais… mais elle me tend déjà la carte. Le « X » presque effacé a révélé un plan de la ville, donnant tout son sens à l’expression « repère les pirates ». Je m’empresse de sentir et à un point très précis, ça sent la vieille merde (Old Stinky Poop pour être exact). Devinant ma question, K’pa reprend :

- Comment Popol a su pour le scratch and snif? Aucune idée… l’instinct j’imagine. Je ne savais pas trop quoi faire alors j’ai attaché un message expliquant tout ce qu’il y avait à savoir et une copie conforme de la carte à la patte de Zachary et j’ai demandé au père Bartolomeu de nous rejoindre là où ça pue.

J’émets un petit sifflement d’approbation, je donne la carte au chauffeur et lui demande de nous conduire nous aussi là où ça pue. Il connaît l’endroit (j’espère quand même qu’il ne me ramènera pas dans l’eau du port). On se fraie un chemin à coup de klaxon, freinages et accélérations subits, mots orduriers et autres aléas de la conduite citadine.

Ce qui frappe en arrivant au point désigné, c’est l’odeur. Là, vous me dites : «Comment ça, ça te frappe? Ça fait trois paragraphes que tu dis que ça pue!»… tut-tut-tut, on anticipait quelque chose et finalement ça sent autre chose : le brûlé (pour pas vous faire attendre). On paie le chauffeur et on descend.

Le building est un gratte-ciel début vingtième relativement petit, 50 étages, style « je me fonds bien dans le paysage new-yorkais » (ceux qui connaissent pas la Pomme, tant pis). Devant l’entrée, il y a des corbillards, des pompiers, des ambulanciers, des pirates cramés, pas de policiers et un climat de panique généralisée. Encore une fois dans cette drôle de ville (pas si drôle en fait, mais c’est comme ça qu’on dit), personne ne fait attention à nous.

Une explosion en provenance du 30e provoque un nouveau soubresaut de panique et vient encore bonifier notre anonymat. Sous une pluie de verre et de poussière de marbre, on se faufile incognito (sans recommencer notre vie à zéro pour autant) dans l’immeuble en enjambant le corps calciné d’un bagagiste.

À l’intérieur, un réceptionniste nous regarde approcher, très pâle derrière son bureau d’acajou. Au lieu de nous offrir son assistance, il implore la nôtre. À l’oeil, je vous dirais que la croix fumante au milieu de sa poitrine a été faite par un fer à marquer les bovins, mais je n’ai pas le temps de vérifier. Je me dirige vers l’ascenseur, le portier a subit le même sort mais n’est pas aussi tenace : il gît sans geindre devant la porte ouverte. On pénètre dans la cabine, je tape 3-0-close door en braille (seulement pour vous en mettre plein la vue) et j’attends qu’on arrive.

Au trentième étage, la porte de l’ascenseur donne sur un couloir. J’entends un cri et je vois passer une femme de chambre avec le feu au cul littéralement (on brûle, je le sens). Plutôt que de la suivre, on se précipite en direction des ennuis. Des panneaux nous indiquent qu’on se dirige vers la balroom (avec le chandelier, mais sans madame White puisqu’elle vient de partir).

La double porte de la salle de bal est en chêne bordée d’or, de flammes et de suie. Le feu n’est pas en train de ravager l’immeuble, entendons-nous, il le chatouille ça et là, sans plus.

On pousse la porte prudemment (de manière prude) pour apercevoir un homme en soutane (le père Bartolomeu, me dis-je sans grand effort) avec sur le dos une boîte métallique avec des fils électriques, des boutons et un genre de tuyau de balayeuse, lequel est relié au fusil laser qu’il tient dans sa main droite. S’il n’était pas tant occupé à tirer partout, le saint homme m’expliquerait qu’il s’agit d’un authentique casseur de fantôme 1984 autographié par Peter Venkman dit le pieu. Dans sa main gauche, il porte un bénitier qui semble lui servir d’avantage à éteindre les petits incendies qu’il allume qu’à exorciser des revenants.

Une partie de la pièce est tout bonnement détruite : trou béant avec vue pittoresque sur le boulevard et le 30e étage du building d’en face. Dans le coin de la pièce à peu près intact, les frères Twins sont barricadés derrière un bar noirci par les décharges de laser et regardent stupéfaits le fantôme d’Old Stinky Poop, coincé dans un champ magnétique à proximité.

- Bonjour Mister, me dit le prêtre en envoyant une rafale aux Twins qui se remettent aussitôt à couvert. Navré que nous dussions faire connaissance dans des circonstances aussi peu conviviales, vous me trouvez tout de même ravi.

- De même, lui réponds-je. Je vois que vous avez la situation en mains.

- Pas autant que je ne le souhaiterais. Ces deux là sont vraiment coriaces (il me pointe le bar avec son engin et envoie un petit coup aux Twins dont les têtes commençait à poindre) et cet idiot ignore où est Culbuta (deuxième petit coup qui fait hurler le pirate).

- Ça va tenir longtemps, dis-je en mimant adroitement un champ magnétique (pas facile, vous essaierez).

- Aussi longtemps que nécessaire. Je vous réservais le spectre pour les questions avant de le mettre en boîte.

J’adresse au Pirate la sempiternelle question : « Où est Culbuta? ».

- Je l’ignore! Elle était ici, mais elle a disparu, elle s’est enfuie. Ne me faite plus mal! (Il a perdu l’habitude d’avoir mal, ça s’entend.)

- Dans la boîte alors!

Le serviteur de Dieu m’obéit comme à son maître (j’apprécie). Il a déjà balancé sa trappe à fantôme et appuyé une nouvelle fois sur la gâchette. Old Stinky tourbillonne en criant « Nooooooon » et disparaît dans la trappe. Maintenant, trop tard pour changer d’idée (par chance, ce n’est pas mon genre).

- Qu’est-ce qu’on fait des autres? demande K’pa, toujours pragmatique.

- Ils s’avèrent être particulièrement agressifs, nous explique Bartolomeu. Ils sont là depuis 3 minutes à peine et ils ont fait explosé le mur, ils ont mis feu à une femme de chambre et je crois qu’ils tiennent Zachary en otage. Dieu nous vienne en aide.

- Et les types de l'entrée avec une croix de feu sur la poitrine? M'enquis-je en ayant déjà une idée de la réponse.

- Le Seigneur rappelait à lui ces brebis égarées... dans le seul but de leur épargner le méchoui éternel. Peut-être ai-je put occire une demi-douzaine d'impies dans le hall, mais le mal est moindre, je vous assure.

Sans prévenir (n’espérez jamais un télégramme chanté avant un mauvais coup) et sans égard pour notre bref conciliabule, les frères Twins nous interrompent en hurlant.

- YYYAAAAAAAH! Ce faisant, ils nous balancent le bar qui leur servait de paratonnerre à une hauteur fort appréciable et une vélocité meilleure encore.

K’pa et moi esquivons avec toute la souplesse impartie à la jeunesse mais le prêtre (après avoir vérifié l’état de ses rhumatismes) se le prend en pleine figure.

Je relève la tête, Œil Crevé s’empare de la boîte à fantôme et saute sur un chariot de bouteilles de champagne poussé à toute allure par Titane et, comme dans un film d’action (je le jure!), ils foncent vers le trou dans le mur.

À un mètre du bord, Titane saute à bord avec son frère. L’élan du chariot est amplement suffisant pour atteindre le building d’en face aux environs du 26e étage et ils ont plus ou moins 78,2% de chance d’arriver vis-à-vis une fenêtre… (roulement de tambour) et c’est… réussi (crotte)! En frappant la vitre de l'autre côté, Œil Crevé comprend pourquoi son cadet insistait pour pousser leur véhicule.

J’aide K’pa à se relever et on se précipite sur Barto (les épreuves qu’on vient de franchir me permettent un nouveau degré de familiarité).

- Barto, ça va?

- Père Bartolomeu che vous prie, me reprend le vieil édenté (je l’aime à peine moins; à part moi, personne n’est parfait). Non cha ne va pas. Donnez-moi ma gourde mon brafe… et schtroumfez mon picheon.

Il a deux gourdes à son ceinturon, eau bénite et eau-de-vie. Je lui tends la deuxième. Il s’expédie une belle rasade (Shé de son prénom) et nous abandonne pour mille et une nuits.

- Pauvre vieux, murmure K’pa.

- Rrrou, roucoule le pigeon-tronc juste à côté, sorti d’on ne sait où (ça nous fait au moins ça de moins sur les bras).

Le curé sourit, béat. Je le prends sur mon épaule et j’annonce :

- Il va s’en tirer, suivez-moi!

Mes désirs sont des ordres (et l’inverse également), K’pa et Zachary me suivent sans rechigner vers le couloir menant à l’ascenseur. Une question demeure encore et toujours: où est Culbuta?

- Rrrrrooou!


Le retour des Troncs II (parce qu’on ne recule devant rien pour vous faire plaisir)
Durant le court trajet menant à l’ascenseur, le pigeon roucoule, piaille, croasse et pépie tout à la fois, bref, il fait tout un raffut.

- On a pas le temps, crie K’pa hors d’haleine.

J’aurais tendance à prendre son parti mais la petite bête se comporte trop bizarrement.

- Rrrrrou! fait Zachary en me fixant avec les petites billes orangées qui lui servent d’yeux.

- Quoi rrrou??!

Je regarde K’pa pour voir si elle comprend mieux que moi. Elle soupire, elle se prend le front en secouant la tête de gauche à droite, puis, elle tapote son poignet à l’endroit où elle devrait porter une montre. À moins que je ne me méprenne sur son langage corporel, elle n’a aucune idée de ce que le pigeon raconte.

- Rrrrrou!

Sous le regard réprobateur de mon assistante, je fixe le volatile. Je me concentre très fort sur ses pupilles… ça y est presque… je crois que... non! Rien à faire! Il a un regard con de pigeon comme n’importe quel con de pigeon.

- Il veut qu’on le suive, me dit K’pa comme si ça allait de soi.

- Rrrrou!

- Bon d’accord, dis-je au pigeon en le menaçant avec mon index, mais je te signale que les Twins savent où on se trouve et que la moitié de la ville nous ferait la peau gratuitement, pour peu qu’on se donne la peine de demander!

Notre guide nous entraîne alors vers la cage d’escaliers (ce n’est pas pour me plaindre mais je vous rappelle qu’on est au 30e et que j’ai un prêtre inconscient sur l’épaule). On descend trois étages et il s’arrête au palier. On ouvre une porte qui mène à un couloir identique à celui qu’on vient de quitter.

Le pigeon avance doucement dans le couloir et parce que j’ai peine à croire ce que je vois, je laisse K’pa vous le dire :

- Je crois qu’il lit les numéros de chambre. (Moi aussi. Je me demande si Einstein avait une théorie sur la réincarnation?)

Chambre 2709. Zachary s’annonce avec son bec, pic-pic-pic (toc-toc-toc, comme voulez).

- Rrrrou! Fait une voix que je reconnais de l’autre côté (vous aussi si vous avez lu le titre du chapitre).

- Rrrou, répond l’oiseau.

Bruit de chaînette enlevée avec les orteils. On ouvre. Les Troncs sont là!! Non, attendez!? Popol seulement… votre déception est grande? Imaginez la mienne! Faut pas croire tout ce qu’on lit.

- Mister, content de te voir!!! Me dit-il d’une voix de chien qui remue la queue. Culbuta?

Ma mine déconfite parle d’elle-même. Je veux quand même savoir comment le pigeon a pu nous amener ici? Question à laquelle Popol se propose de répondre :

- J’ai découvert l’hôtel grâce à la carte. C’était un scratch and sniff, ça sentait… (je fais signe qu’il peut abréger). À l’entrée, j’ai croisé Zack avec un mot pour toi sur la patte. Je me suis dit qu’on était mieux de vous attendre ici. J’ai trouvé une chambre libre et j’ai demandé à Zack de monter la garde à l’entrée du building et de me prévenir quand vous arriveriez…

Attendri, il regarde le pigeon picorer la moquette avant de reprendre : « Et vous? Qu’est-ce qui vous est arrivé? »

- Nous, rien. (Je lui raconterais, mais on est pressés, il devra lire un peu pour savoir ce qu’il a manqué.) Mais magne-toi, on pourrait attraper les frères Twins et retrouver ta femme!

Sur ce, j’ouvre la fenêtre et je regarde le bâtiment d’en face. On est presque vis-à-vis la fenêtre que les Twins ont défoncée. J’ai un plan, mais le boulevard est large… il faudra être très précis.


Pas de médaille pour les héros
Cette tâche là, il ne faudrait surtout pas la confier à quelqu’un d’autre. Regardez plutôt faire le professionnel.

Je tiens le pigeon-tronc comme on doit tenir un ballon de football et (puisque tout le monde semble convaincu qu’il est brillant) je lui explique qu’une fois à destination, il devra nous indiquer si la voie est libre.

Sans plus de détails, je le balance de notre fenêtre au 27e et, avec un superbe mouvement de rotation, il franchi sans peine les 55 verges le menant à l’immeuble devant et disparaît dans la fenêtre brisée au 26e.

Nous patientons, inquiets…

...

-(rrrou)

Dans notre oreille, le faible roucoulement est presque triomphal. Zachary va bien ET la voie est libre!

Sans plus attendre, j’expédie le Tronc exactement de la même manière (plus vite que la poste et sans anicroche). Pour K’pa, on utilise une variante acceptable; les bras repliée sur elle-même, elle fend l’air avec la grâce de l’albatros et la précision d’une torpille à tête-chercheuse. Vient le cas du Père Knock out… (là, faut que j’y pense)… Faute de mieux, je le dépouille de son attirail anti-fantômes (il m’en voudra), je l’empoigne par le ceinturon et le capuchon, je le balance d’avant en arrière pour me donner de l’élan et (wiiiiiiii!!) je l’envoie à son tour. (Si l’envie vous prend de fredonner « Ah si mon moine pouvait voler», je ne vous retiens pas mais je passe.)

Voici mon heure venue et je devrai traverser sans aide. Ça pourrait se corser, mais heureusement pour tout le monde, j’ai déjà médité là-dessus. Autant vous prévenir, vous aurez de la difficulté à suivre. Je vais devoir défier (pour ne pas dire bafouer) au moins une loi élémentaire de la physique pour mon prochain tour. Master Mister, pour vous servir.

Je défonce entièrement le mur pour avoir plus d’espace et j’attrape le lit, montant, sommier, matelas et tout (ça va jusque là?). Je prends ensuite une profonde inspiration, j’entends presque le commentateur des jeux olympiques détailler mes prochaines actions d’une voix tendue. (Soyez attentifs.)

Je m’approche du rebord… (vous suivez?)

Du haut du 27e étage, immobile, les orteils au bord du vide, je me concentre…
En contrebas, la foule retient son souffle…

Je lance le lit dans les airs et je bondis à sa suite... (préparez-vous)

Nous tombons dans le vide, lui plus rapidement que moi parce que plus lourd… (et)

D’un coup, J'ACCÉLÈRE MA CHUTE! (ÇA Y EST!) Je suis un météore tombant du ciel, si rapidement que le lit semble s’immobiliser entre les deux édifices…

J’exécute en toute impunité un quadruple-salto-périlleux-avant-arrière-carpé-groupé suivi d’une modeste boucle-piquée. Je rebondis sur le matelas, j’entre par la fenêtre et j’atterris bien droit, bras en l’air et tout souriant au milieu de mes convives qui (moins chanceux que vous) n’ont rien vu de la prouesse.

Les gens applaudissent à l’extérieur mais les infimes éclaboussures provoquées par le lit à l’arrivée me priveront d’une note parfaite. Pas le temps de s’émouvoir, je n’ai écrasé que des malfrats et je ne peux pas rester pour la remise des médailles.

Un coup d’œil à la pièce me suffit à constater que tout le monde n’a pas ma grâce. Outre la fenêtre défoncée, les vestiges de l’atterrissage brutal des frères Twins sont nombreux. Le chariot démembré et les débris de bouteilles se noient dans une marre de champagne, deux dents de titane appartenant à Titane (tient donc) grignotent le buffet (le meuble, pas le lunch) et le cigare du Grand Twins continue de fumer sans le consentement de son propriétaire ce qui, à long terme, n’est pas bon pour la santé (la nôtre surtout). En plus de leur calèche et de leurs ornements buccaux, les frères nous ont laissé de belles traces de sang se dirigeant vers le passage, la piste est facile à suivre. Nous suivons, donc. Bartolomeu reprend sa place sur mon épaule, les autres, bien que meurtris, vont sur leur propres pieds.

On traverse tout le couloir sans que la piste ne faiblisse. Elle mène à une porte dont l’écriteau « réservé aux employés » et l’empreinte de main en sang poisseux semblent nous interdire l’accès mais, vous me connaissez, j’ouvre.

J’ai un moment d’étonnement en découvrant, au bout de son sang, un garçon d’étage à demi-mort ; « Zut, on a été bernés! ». On est dans la cafétéria des employés. Le type est allongé sur une table, une trousse de premiers soins ouverte devant lui. Au niveau du ventre, il porte un pseudo bandage ; des pansements plus ou moins stériles, plus ou moins bien noués avec ses intestins. Un clown ivre essayant de fabriquer un chien avec des ballons n’aurait pas fait pire.

K’pa se précipite pour lui venir en aide.

- Que vous est-il arrivé mon brave? (vous aurez reconnu ma voix : mode réconfort)

- Ils sont deux (description sommaire mais, oui, ils sont deux)… très amochés, c’est horrible (c’est bien eux!)… ils m’ont ouvert le ventre (j’avais remarqué, veuillez poursuivre) avec une bouteille brisée (fort possible)… « pour que tu nous mènes vite et à la bonne place », ils ont dit… (il serre les dents et inspire douloureusement alors que K’pa termine son bandage règlementaire)… ils sont ici pas loin, ne me laissez pas avec eux!

On pensait que la tension était à son comble, mais il reste toujours de la place.
Je dépose le curé sur la table à côté de l’éclopé. Je regarde mon œuvre ; le portrait est gris-noir, une nature morte presque. J’ouvre les rideaux et j’ajoute le pigeon pour égailler l’ensemble.

- Vous veillerez l’un sur l’autre, dis-je sans exagérer l’enthousiasme.

Avant de me barrer, je m’assure que la porte se verrouille de l’intérieur et je demande au type quelques renseignements que je ne vous divulguerai pas, pour vous réserver la surprise.

Forts de ces informations secrètes, on se dirige à travers le building comme si on connaissait l’endroit et on arrive au point A : le vestiaire des employés. On fait ce que vous pensez qu’on est venu faire et on met le cap sur le point B : la sécurité.
Le garde est gros, moche, et il a perdu depuis longtemps la passion du métier, à supposer qu’il l’ait déjà eu. Pendant qu’on s’inquiète de la piètre qualité de nos déguisements, le garde regarde (come on Mister, un petit effort) avec ennui les trois femmes de chambre devant lui pour les inciter à déguerpir. Quelques secondes s’écoulent, plus molles que celles sur les montres de Dali. En désespoir de cause, le garde soupire et s’adresse à la seule des femmes de chambre ayant un peu le physique de l’emploi (deux bras, pas de poils au menton et pas de super-casque) :

- Quoi?

K’pa pourrait lui répondre que nous sommes en détresse, qu’un cigare fume sur la moquette au 26e, qu’un employé est grièvement blessé ou que deux fous furieux rôdent dans l’immeuble ; mais puisque rien de cela n’intéresserait le garde, elle opte pour un mensonge pieux mais crédible :

- Deux femmes de chambres baisent dans la cafétéria des employés, nous sommes jalouses, outragées et affamées.

Bing! Pile dans le mille. Sans même prendre le temps de répondre, le garde se (met en) branle aussi vite que lui permet son gros cul. On s’est débarrassé de lui tout en offrant une couverture supplémentaire à nos copains, chapeau K’pa!

Mais il ne s’agit là que d’un bénéfice marginal, nous sommes ici pour les écrans de surveillance. Je laisse le Tronc monter la garde pendant qu’on scanne les écrans. Avec mon œil de Boy et le doigté de K’pa, on zappe au moins aussi vite que vous devant une info-pub. Chambre vide – chambre vide – couple nu dans un ascenseur - hall d’entrée – couloir – cuisine – cafétéria des employés (nos potes vont bien) - parking – ascenseur vide – salle de bain pleine – etc., jusqu’à ce qu’on tombe sur ce qu’on cherche.

Les Twins sont au bar de l’hôtel. Titane se rince la dalle avec un Dom Pérignon en étudiant le fonctionnement de la trappe à fantôme. La barmaid a la tête enfoncée dans le tiroir de la caisse enregistreuse ; son corps flasque laisse suggérer qu’elle n’est pas en train de chercher de la monnaie. Œil Crevé a emprunté le téléphone et crie « des choses » à son interlocuteur (excusez le manque de précision, on a pas le son).

Je rassemble les troupes et on se précipite.


Rififi dans la Twins Tower
Alors que nous courrons vers le bar, un message diffusé à l’interphone par une agréable voix féminine nous informe sur la teneur de la conversation téléphonique d’Œil Crevé dans le chapitre précédant :

- Chers clients et membres du personnel, cet hôtel est désormais la propriété des frères Twins ; ils le rebaptisent Twins Tower. La nouvelle direction suspecte l’indésirable présence de Mister Boy dans l’édifice. 100 000$ dollars sont offerts pour un bras ou une jambe, 200 000$ pour un organe vital, 10 000$ pour les menus morceaux et 2 millions pour le lot : présentez vous au bar pour votre récompense.

Ouch! Dans mon métier, les détournements d’avions et d’autos sont plutôt fréquents, mais un détournement d’hôtel avec rachat du personnel, c’est très fortiche! Même dans une île peuplée de bandits.

Déjà quelques portes s’entrouvrent dans le couloir. On va bientôt patauger dans les méchants. Heureusement, Le Tronc a la présence d’esprit de profiter à nouveau de notre déguisement. Imitant à la perfection une voix de femme de chambre hystérique, il crie :

- Il est parti par-là, en montrant du gros orteil la cage d’escalier la plus proche.

Trois types se lancent illico « à notre poursuite ». Un autre défonce la vitrine d’une boîte rouge contenant le kit d’urgence pour les incendies pour y prendre une hache avant de les suivre.

Ça me donne une idée! Je cours vers l’ascenseur au centre du couloir. Dans la cabine, j’appuie sur les 252 boutons et je ressors prestement. Je déroule le boyau d’arrosage, je vérifie s’il est bien fixé et je le balance par la fenêtre. Je demande à mes compères de descendre le long du boyau jusqu’à l’étage du bar (voir le tronc effectuer ce tour de force me tire presque une larme). Avant de les suivre, j’active l’alarme d’incendie.

En descendant le long du mur extérieur, je m’arrête aux fenêtres pour apprécier la contusion (comme disait Contucius) qui règne dans l’hôtel. Des gens affolés courent vers l’ascenseur : bloqué! D’autres se ruent dans les escaliers déjà trop engorgés. Des truands armés se tirent ou se taillent en pièces dans des clameurs et des cris d’agonie. Merveilleux!

À l’étage du bar, l’atmosphère est étonnamment tranquille. On entre discrètement par la fenêtre. On se dissimule derrière une plante touffue dont vous ne connaissez pas le nom et on attend de comprendre pourquoi c’est calme avant de tenter quoi que ce soit. L’explication nous arrive en deux parties.

Premièrement, une femme comme les autres (trop flou pour vous ; fin trentaine avec un chignon, c’est mieux?) se présente à la porte du bar avec un couteau de boucher et une jambe velue. La jambe ne lui appartient visiblement pas puisqu’elle la porte sur l’épaule. Œil crevé se montre avec un fusil de calibre… (je ne connais pas les fusils, j'en ai rarement besoin, alors j’approxime) gros. Il regarde la jambe. Il murmure quelque chose à la femme et pointe son fusil sur sa jambe à elle. Elle pâlit, laisse tomber la jambe velue et le couteau puis elle détalle. Il tire sur sa jambe à elle. La sauce gicle et la jambe se désintègre. La fille rampe à couvert derrière une autre plante dont vous (peu féru en botanique) ignorez aussi le nom.

Deuxièmement, la voix suave de l’intercom vient à nouveau nous traduire l’essentiel d’une conversation inaudible (c’est commode!) :

- Chers clients et membres du personnel de la Twins Tower. Après avoir reçu 102 bras, jambes, foies, rates et cœurs, nous annulons l’offre sur Mister Boy en pièces détachées. 2 millions sont toujours offerts pour le lot.

La suite va d’elle-même (vous devinez?). Je retire mon costume de femme de chambre et je demande au Tronc et (surtout) à K’pa de me transporter. Je fais semblant d’être mort et on les prend par surprise… ça c’est vu souvent et ça ne rate jamais (parlez-en aux troyens).

On se pointe à la porte. Œil Crevé vient rouvrir, excédé. Je ne vois pas son visage (n’oubliez pas, je fais le mort) mais je parie (ta bouille contre la mienne) que son expression change en me voyant : « Ha, ha! Les gars, on l’a eu! ». J'entends répondre l'autre frère et Old Stinky qu'ils ont visiblement (ou audiblement pour être exact) réussi à libéré. Je change de mains et on me jette au milieu du bar. Les pas de mes compères suivent de près.

J’écoute très attentivement pour être certain d’avoir les deux frères à portée de main avant de bouger. Pour le peu de mal qu'il peut faire, on s'occupera plus tard du fantôme.

- À propos de la récompense? demande K’pa nerveuse.

Si j’avais connu la suite, jamais je n’aurais échafaudé ce plan.

Tout s’écroule si subitement et dans une violence si unique aux frères Twins qu’il m’était impossible de venir voir le coup.

POW! POW! POW!

Mon cœur s’arrête, mes yeux s’ouvrent et je crie : K’PAAAAA!

Si je constate tout de suite qu’elle est intacte, je mets une fraction de seconde à réaliser que c’est sur moi qu’on vient de tirer.

La plaie sur mon ventre ressemble à une morsure de chien enragé. Je regarde les trous (calibre gros) et les lambeaux de chair blanche rose et rouge sans trop comprendre. Le sang fait de petites bulles par endroits.

Je regarde mes amis. Ils sont gris. Le Tronc se met à vomir. Je vous rappelle que K’pa peut s’évanouir sur commande : 3-2-1-pouf!

C’est ensuite que vient la douleur. Je suis cloué au plancher.

Les frères rient. Œil Crevé me demande :

- Tu croyais vraiment que je ne reconnaîtrais pas ton assistante et le type sans bras?

Comment peut-on rayonner d’intelligence pendant tant de chapitres et se fourvoyer bêtement au moment crucial? Je suis stupéfait par la grossièreté de ma propre connerie.

Ils s’approchent tous les deux, encouragés par le rire grinçant de l'ex-pirate ; j’aurai sans doute droit à une mort atroce et douloureuse... mais au moins elle sera longue.


Prendre un p'tit coup...
Après coup, on pourra toujours essayer de se souvenir... revenir sur les vieilles querelles... À quoi bon?

Qui a dit quoi? Qui a fait quoi à qui? À qui la faute? Quelqu'un a-t-il vraiment pleuré? Il paraît qu'untel a appelé sa mère... ce n'est pas vraiment important, non.

Ça ce déroule tellement vite et, avec l'adrénaline, la mémoire peut s'embrouiller un peu, les médecins vous le diront. De toute manière, voici comment je le raconterai à mes petits-enfants :

Le tronc, les frères Twins, Old Stinky et ce qu'il reste de moi formons un tas grouillant de membres en convulsions se taillant en pièce aveuglément, un ouragan destructeur, roulant aussi bien au sol que sur les murs, criant, crachant, défonçant le bois, arrachant les vernis et les tapis, laissant de lourdes empreintes de coude ou de crâne sur les comptoirs de métal solide, réduisant en miette tout le verre qu'il peut consommer.

Et quand l'un des protagonistes est éjecté du tourbillon, à la renverse sur une table massive ou tête première à travers une fenêtre, il est aussitôt ré-aspiré par cette puissante force centrifuge, avant même de se relever, de penser ou de reprendre haleine.

Au coeur de l'action pleuvent les coups les plus vicieux, les pires menaces et les hurlements inhumains. La violence s'attaque à tous les sens. Dans le nez et dans la bouche, le sang des autres et le vôtre, dans les yeux et les oreilles aussi, avec les larmes et la sueur, la peau poisseuse et lacérée, chaque fibre du corps qui cherche à distinguer ses propres plaies de celles de l'ennemi, qui cherche les signes vitaux quand tout n'est que douleur, avec deux cent mille nerfs à vif que l'on continue de frapper.

Peut-être qu'à un moment dans la bagarre, les frères Twins prennent un peu le dessus. Peut-être que le Tronc est assommé, avec une fracture ouverte à la base du crâne et du sang qui gicle partout, sur mon visage surtout. Peut-être que K'pa se réveille et se bat vaillamment avant de s'évanouir à nouveau, mais pas sur commande cette fois. Peut-être que Titane enfonce son poing, creux dans la blessure que son frère m'a infligée avec le fusil. Peut-être que je laisse échapper une plainte discrète et qu’un spectre de désespoir rode, juste à côté du fantôme d'Old Stinky Poop, hilare. Les images sont un peu floues…

Une chose est sûre, au moment où K'pa et le Tronc ne donnent plus signe de vie, au moment où ceux qui tiennent encore sur leurs pieds ne tiennent plus qu'à un fil, au moment où, moi-même peut-être, j'ai concédé une légère avance à mes adversaires... le vent tourne!

Je dis «le vent tourne », mais il a carrément fait volte-face. Imaginez votre animatrice météo s'apercevant à mi-course que le fameux panneau derrière elle est à l'envers, l'incrédulité dans son regard tandis qu'elle le replace du bon sens et reprend à zéro ses prédictions, voici comment tourne le vent dans les aventures de MB.

Le père Bartolomeu, Zachary le pigeon tronc et l'introuvable Culbuta viennent d’entrer dans le bar, bras dessus bras dessous (si je peux me permettre l'expression), passablement ivres, et ils chantent une chanson grivoise de leur bourgade qui ferait plus de tord à vos chastes oreilles que tous les coups que j'ai pu recevoir.

Des ours polaires se disputant un morse éventré sur la banquise surpris par un couple de flamands roses et un pigeon manchot... voilà à quoi ressemble notre carnage interrompu par la joyeuse brigade d'Oncle-sur-mère.

Eux s’arrêtent de chanter... et nous de nous battre... durant quelques secondes, l'incongruité de la scène retient jusqu'à la trotteuse de l'horloge... jusqu'à ce que Culbuta croise mon regard incrédule.

- Ben quoi? Vous arriviez pas, j'm'ai libérée tu seule!


Toute bonne chose en a une
Que ceux qui doutent encore des vertus curatives de l'amour lisent attentivement ce qui suit. Le simple son de la voix de Culbuta arrête le sang qui coule à la base du cervelet du Tronc ; coagulé net, comme du jello, un miracle! Le bougre ouvre les yeux pour mirer sa belle ivrogne et elle-même rediffuse cette énergie positive à l’attention des plus amochés.

Sensible à ce changement d’air, K'pa se réveille, pimpante comme si elle sortait d'un rêve pour adulte, et re-miracle! Culbuta vient d’en accomplir deux en deux secondes et, vous savez quoi? il n’en faut pas plus pour être canoniser. N’eut été de ses mauvaises mœurs, Sainte-Culbuta entrait dans la légende.

Les Twins, Old Stinky et Mister votre préféré sommes sidérés, médusés. Comme je vous connais, vous espérez probablement une finale tout en feu d'artifices, avec une violence inuit (de la viande crue et des bébés phoques morts)... mais dans l'état d'épuisement dans lequel nous sommes, je vous mijote quelque chose de simple, rapide mais goûteux (que vous pourrez refaire aisément à la maison).

Je profite de leur inattention pour tourner le bouton d’adrénaline jusqu’à « broil », ils sont cuits! Je « saisis » les deux frères par le collet et leurs crânes viennent se fricasser 30 centimètres au dessus du mien.

K’pa reprend le fusil que Titane vient d’échapper et tire jusqu’à ce qu’il y ait plus de trous que de peau.

Les Troncs s’occupent d’Oeil Crevé. S’il s’est déjà couché sur le passage d’un troupeau de gnous, il avait déjà un avant goût de ce type de douleur, sinon, il le découvre à l’instant.

Résigné, le prêtre sort de son ceinturon sa bouteille d'eau bénite et se résout à un exorcisme old school et expédie aisément Old Stinky dans l'autre (sinon « un autre ») monde avec quelques mots de latin que je vous épargne jusqu'à ce que vous compreniez cette langue.

K’pa n’a plus de munition mais les morceaux éparpillés de son adversaire ne sont plus en état de riposter. Elle se joint donc aux manchots pour un solo de claquette improvisé sur la tête du grand Twins pendant que Zachary vient lui picorer l'oeil valide.

Tout en admirant le spectacle, je vais au bar prendre le téléphone. Après un bref entretient avec les autres, j’appuie sur redial. Au bout du fil, je reconnais la voix suave de l’interphone. Je lui passe le grand Twins pour qu’il lui annonce lui-même que « Mister Boy a été capturé, qu’elle peut lever la récompense et que tout le monde doit réintégrer sa chambre et se tenir tranquille!».

Cela fait, on l’achève promptement tel qu'il nous le demande (ceux qui espéraient le retour des frères Twins peuvent d’hors et déjà s’adresser au bureau des plaintes).

Le message diffusé à l’interphone nous permet de retourner sans encombre au 26e étage pour récupérer quelques bandages et (comme vous êtes curieux) je profite de la ballade d'ascenseur pour prendre des nouvelles de Culbuta… mais, dommage pour vous, le temps que je réussisse à déchiffrer son charabia, on a fait l’aller-retour et on est déjà au rez-de-chaussée, il faudra que je vous raconte un jour son époustouflante évasion. (« Mister, tu peux pas nous faire ça… » Tut-tut-tut, bien sûr que je peux, c’est moi qui narre!)

Maintenant, le QG nous attend. Demain, la veuve et l’orphelin ont intérêt à rester chez eux, Mister Boy fera la grâce matinée.

J’ignore le nombre exact de méchants qu’on a zigouillé au total, mais s’il n’y en a pas 500, on n’est certainement pas loin du compte. De toute manière, je pouvais pas savoir avant… avant la quoi déjà?

FIN.

MISTER BOY


PS : J'm'ai libérée tu seule (Bonus Feature)
À l’ère du DVD et du Blue-ray, ils ne se refusent rien ; ils vous offrent en extra tout ce qu’ils auraient jeté parce que de toute façon, ça coûte pas plus cher de pellicule et, en plus, vous allez louer le film que vous venez de voir au cinéma pour savoir ce qu’ils trouvaient trop merdique pour le grand écran. Hé bien, toujours à l’avant-garde et sans égard pour l’éditeur, je vous offre un dernier chapitre, mais pas de la camelote, un sursis avant de replonger dans la médiocrité de vos divertissements quotidiens!

Non pas que vous méritiez tant, mais d’un strict point de vue narratif, il serait fâcheux de terminer l’histoire sans savoir comment Culbuta s’est libérée. Après tout, on a passé le plus clair de notre temps à se demander où elle était, non? Vous remercierez K’pa qui a sténographié tout ça dans le feu de l’action sans même qu’on s’en aperçoive.

Voici donc la formidable évasion, telle racontée par la divine Culbuta lors de notre ballade d’ascenseur. Je vous épargne les innombrables interjections de son compagnon pour vous simplifier une lecture déjà pénible. En passant, si vous avez des enfants, vaudrait mieux aller les border et leur raconter ça dans vos propres mots demain matin.

« J’m’avais faite attacher les pieds dans une pièce a’ec des gardes qui me gardaient, y étaient deux.

Pis là, un des deux dit au premier « on s’la fait? » ; mais moé j’me dit en moi-même : « non », faque je leur dit : « si vous saviez c’que je sais faire a’ec mes pieds! ». Mais le deuxième y dit à l’aut’ : « tu nous prends pour des cons ». Dans ma tête e’ch’pense « oui » mais j’réponds « non » pour pas qui s’en doutent, mais eux z’aut’ y l’savent pareil parce que din fois tu dis « non » mais ton non-dit y dit « oui »… t’sé?

Là, y étaient pas contents! Lui avec la moustache me pogne par en arrière pis y m’force à me pencher en disant au premier « tiens-la! », pis y m’lève ma jupe pis y commence à essayer de me fourrer en passant un commentaire cochon comme quoi que ch’porte pas d’bobette. Là chu t’un peu fustrée mais chu pas conne non plus… ej’rest’ le plus calme que ch’peux… j’attends l’bon moment … j’attends qui commence à avouère du fun.

Après in n’escousse, yé benne trop occupé à s’occuper de lui pour s’occuper de moé. Là, je me refarme les jambes ben sec pis je me la r’sers el’plus fort que j’te l’ai jamais serrée pis j’y tchoppe la graine d’une shot !

Y se r’cule en pissant le sang pis les jambes y viennent molles… pis lui qui m’tenait y m’tient pu ben ben non plus. J’me r’tourne le cul d’bord pis j’y r’crache le gland du deuxième dans face comme les chinoises en Thaïlande y font avec des balles de ping-pong. Ben croyez-moé croyez-moé pas, les deux s’ont sauvé en courant pis y m’ont laissée tu seule dans pièce.

Ej’me dis « pense vite ma fille parce qui vont r’venir certain, pis y s’ront pas ‘yenque deux! »… mais, tant que j’ai ‘é’pieds attachés, ech’peux pas aller ben loin.

Faque là, j’m’ai dit « si j’ai réussi à y couper le zwiz facilement de même, ej’dois ben n’êt’ capab’ de couper d’aut’ chose», t’sé. Y fallait jusse que j’m’accroupisse su’ mes talons comme au youga pour pouvoir me ronger ‘a corde. Cé pas facil’, cé forçant, mais j’ai faite ça vite.

Après, ech’tchèque autour pis j’me rends compte que la f’nêtre est t’ouvarte. J’me glisse le long d’une gouttiére jusqu’à une escalier de secours.

Ej’décide de prend’ une meunute pour me r’poser en m’disant « y penseront jamais que ch’t’assez zhabile pour êt’ descendue là » mais après vraiment pas long, y a eu une grosse esplosion jusse en haut où qu’j’étais t’à l’heure. J’ai r’çu des débris sua tête pis j’ai perdu sans connaissance…

Ech’sais pas trop si j’m’ai évanoue pendant longtemps mais cé des sirènes de char de pompier qui m’ont réveillée. Ech’savais pu trop quoi fére faqu’j’ai attendu.

Après un boutte, j’ai vu les deux frér’, assis sur un chariot, rentrer dans f’nêt’ d’la tour du building d’en face, que’ques z’étages au dessus de moé! Là, j’m’ai dit qui avait quequ’chose de spicial qui avait arrivé…

J’ai attendu encore cin’ meunutes pis j’ai vu passer l’moéneau par la même fenêt… moé ech’ savais même pas qui pouvait encore voler?! Après, y a toé, mon beau Popol, pis toé, K’pa, qui ont passé comme une tourpille!

Encore après, y a eu toé l’vieux. J’te l’dis de mêm’, t’étais pas beau tu suite, tu volais pas bien pentoute, on aurait dit une poupée gonflable empaillée a’ec d’la marde.

Finalement, y a eu le litte pis toé, MISTER, WOW!! Vous auriez dû vouère ça vous z’aut’… y sé écartelé din z’airs comme a’ Ti-Vi olympique, y a r’bondi sul’ matelas pis a retombé drette dan’ bonne f’nêt’!!! Je l’crêyais pas pis l’monde non plus ; ça applaudissait en bas, on l’entendait jusqu’icitte!

Moé la folle, j’m’ai dit que j’pouvais fér’ pareil! Avant que le litte arrive à terre, j’m’ai pitchée dans l’vide… mais le maudit litte, y arrêtait pas de tomber plus vite que moé. A’ fin, y est tombé su’l monde. Pis moé, j’ai faite un back flip de rien qui m’a faite er’voler yenque au 8e palier.

J’ai monté par les marches mais j’tais en r’tard su’ vos z’aut’. Ech’t’arrivée à vot’ pièce, j’ai suivi ‘a trace de sang jusqu’à l’aut’ pièce où que vous aviez enfarmé pépère. Une chance, y a eu l’gros tas avec une habit de police qui est venu m’débarrer ‘a porte. Y pensait qui avait des lesbiennes dans cuisine, y était ben déçu pis y me r’gardait croche en pensant de biais. Mais à cause du ton qu’j’avais quand j’y ai dit de s’en ertourner, y m’a obéit!

Moé pis pépère on étaient content de se vouère faque on a fêté ça in peu a’ec son eau de vie. Après avoir fini la bouteille, on s’est dit qui devait ben avouère un bar dans c’t’hôtel là. C’tait un peu l’fri fore all déhors mais on a réussi à descend’ à pied din marches jusqu’en bas.

En arrivant au bar, vous étiez là…

J’en r’viens pas pareil! »