29 novembre 2010

Besoin d’évasion

« Besoin d’évasion? »

Je me marre en voyant l’affiche présentant un gars, une fille, une plage, une mer et un ciel genre paradis (les nuages en moins) pendant que K’pa et moi on est dans un fond de ruelle plus crasseux que les sous-vêtements de ma vieille le jour où on a décidé qu’elle était mûre pour l’hospice.

Je me marre mais n’empêche qu’on en avait foutrement besoin de l’évasion.

Je sais pas si vous vous souvenez mais on était dans une situation que des auteurs de pacotilles qualifieraient de fâcheuse. Moi-même je la qualifierais de… eh pis merde, retournez lire le début de l’histoire et vous comprendrez mieux.

On était dans l’antre des frères Twins K’pa et moi, attachés, ficelés, K’pa rotait des clous frénétiquement et les frères Twins s’entretenaient de manière conviviale pour déterminer la manière et l’heure de notre mort.

Je me marre, mais j’étais inquiet tantôt. Je regardais K’pa roter ses clous, rempli de doutes quant à la capacité de mon acolyte à réagir à une véritable situation de crise jusqu’à ce que je réalise que, loin d’être prise de panique, elle s’affairait plutôt à une tâche ingénieuse, précise et salvatrice.

Quand on rote un clou, c’est toujours le pointu qui sort le premier (logique). K’pa visait adroitement le lien qui la retenait et elle était rendue précisément au point de rupture. Dans un élan de magnanimité, je vous épargne toutes les fois où elle a manqué et le nombre exact de rapports de clous nécessaires pour trancher une corde grosse de même. Donc, on en est là…

La corde casse et K’pa descend habilement le long de la colonne sans attirer l’attention des Twins. Elle me lance sa corde que j’attrape entre mes dents et elle monte pour me détacher mais au moment où mes liens rompent, on tombe 6 mètres plus bas tout les deux dans un fracas fracassant (non mais).

On se relève à toute vitesse, prêts pour une poursuite infernale. Avec le vacarme qu’on a fait en dégringolant, on se dit que les frères vont arrêter de se disputer et venir s’en prendre à nous mais que neni ! Ils n’ont rien entendu : ils se battent!
Un tableau d’une candeur touchante. Le Grand Twins (Oeil crevé) a déposé son cigare dans l’oreille de son frère pour mieux pouvoir le reprendre à la fin de l’escarmouche. Le Petit (que j’ai surnommé Titane) a perdu son chandail à tête de loup et est nu-cul en dessous. Les deux s’invectivent copieusement dans une position qui n’est pas sans rappeler la lutte gréco-romaine, le rugby, le sumo et, surtout, Frankenstein contre Toxic le Ravageur.

On en profite pour se glisser à l’extérieur du théâtre mais on tombe sur cinq sbires boutonneux armés de machettes rutilantes qui, quoi qu’elles (comment?) aient un air anachronique semblent en parfait état de marche. Vous me direz qu’une machette ça n’a pas une mécanique bien compliquée, peut-être mais ça demande quand même un minimum d’entretient.

Contrairement à un film d’action minable, les gars n’attendent pas en file qu’on les bute, ils attaquent comme un seul homme.

K’pa me prouve une fois de plus que j’ai bien fait de la prendre comme compère. Elle se saisi d’un premier assaillant et lui rote une giclée de clous dans les pantalons. Il a tôt fait de lâcher son arme (pour saisir son pagne) et elle de la reprendre. D’un seul geste, elle fend la gueule d’un autre (il emportera ce dernier sourire dans la tombe) et frôle la joue d’un troisième (boutons de machette quelqu’un?).

Ne perdant pas mon temps, je fonce en criant sur les deux qui restent. Les bras en T majuscule, je cours entre eux, les décapitant presque au passage. Ça fait BO-BONG (ils étaient mal alignés) mais seulement un PLOF à ma gauche. Je sais donc que celui de droite est toujours debout. Je me retourne en donnant un coup de pied solide ! PLO-PLOF!??

Vous aussi ça vous semble étrange deux PLOFS ? Mais au moment même où je donnais le coup final, K’pa effectuait une manoeuvre similaire avec le sbire frôlé précédemment dont nous ne reparlerons guère maintenant puisqu’il est hors d’usage.

K’pa jette nonchalamment la machette ensanglantée aux pieds du gars qui a des clous dans les couilles et il se casse (sans nous les casser).

On se pousse un peu plus loin et on se retrouve bien heureux dans cette ruelle sale sous cette affiche de voyage de merde. Je me marre.

Chacun son paradis et vive l’évasion me dis-je en débouchant sur une rue à peu près convenable :
"Taxi!"

22 novembre 2010

L’antre des frères Twins

Je vous imagine bande de pleutres! Avachis dans vos chaumières, dans un bureau ou dans les transports en commun, bouquin en main. Un bouquin, une lueur enfin dans votre routine où défilent tour à tour les mornes écrans de votre télé, de votre ordinateur et de votre portable… dans cette vie ou jamais vous ne trouvez le courage (alors que vous en mourez d’envie) de beugler: 3-2-1-ACTION!

Pendant ce temps, je suis captif dans une pièce qui peut rappeler (selon votre éducation) une église, une salle du trône ou un vieux théâtre. La colonne magistrale à laquelle je suis ficelé (à 6 mètres du sol) est la dernière d’une longue rangée menant à une scène. Face à moi, de l’autre côté de l’allée centrale, j’aperçois K’pa. Elle est attachée elle aussi, mais cela ne la préoccupe guère, toute occupée qu’elle est à roter des clous qui vont s’éparpiller 6 mètres plus bas dans un clouquetis métallique.

D’où on est, on a une vue imprenable sur la scène et, n’eut été de l’inconfort des liens nécessaires à nous y maintenir, on aurait pu vendre nos places à prix d’or. Devant nous, un spectacle rare : les frères Twins en grande dispute. Vous vous souvenez des frères Twins? Les pires des pires? L’apothéose de la cruauté? Non? Qu’importe…

Vous devez savoir qu’au même titre qu’il existe des Lebeau pas beaux, des Lebrun pas bruns, des Legros pas gros et des Leclerc pas clairs, les frères Twins ne sont pas plus jumeaux que vous et moi (ce qui n’est pas peu dire).

Le premier né est grand et il a un visage qu’on pourrait qualifier d’affable si l’on fait abstraction de sa balafre de râteau mal cicatrisée, de sa calvitie mal cachée par quelques cheveux sales, de son menton jadis en fesses où l’on croit maintenant discerner l’empreinte des dents de son frère, de l’œil crevé qu’il n’a pas la décence de cacher derrière un « sympathique » œil de pirate et de l’oreille noire où il a l’habitude d’éteindre le cigare qu’il a actuellement dans sa gueule… à quelques détails près, définitivement affable.

L’autre, le petit, est de beaucoup, plus effrayant. Il porte actuellement un chandail vert forêt « I love Maine » trop ample avec une tête de loup, lequel chandail dissimule entièrement ses shorts (on se prend à espérer qu’il en porte). Du bas du chandail, sortent deux pattes musclées et velues qui s’enfoncent directement dans des souliers à cap de titane. De la manche gauche pend un bras pour l’instant inerte mais que l’on devine vigoureux à ses heures à cause de la main ornée de phalanges à cap de titane également. Le poing droit quant à lui gigote de manière furieuse sous le nez du grand frère. L’homme n’a presque pas de cou et un bison ayant sa tête livrerait fièrement bataille lors des combats nuptiaux. Sa dentition a cela de particulier qu’elle commence aux canines, en titane toujours. On ignore comment exactement les incisives on quitté leur socle mais on sait qu’elles n’y étaient déjà plus lorsque l’autre frère perdit les fesses de son menton.

La querelle n’est pas de savoir s’ils veulent nous tuer, c’est déjà décidé. Il y a la rançon promise par Old Stinky Poop, et Tuer Boy, ça effraie la concurrence. Ils veulent cependant trouver une manière amusante de le faire et ne s’entendent pas sur le degré de précautions à prendre…

Le grand des Twins a peur que je leur file entre les pattes dès qu’on me déliera, j’en suis flatté.

Le petit étale son érudition en matière de torture : écartèlement, poumons d’argile, don’t spare any ribs, le boucher de Séville, rotules cache-oreilles, œil dans le vinaigre, auto-pédérastie, crotte sur le cœur, autant en emporte les dents…

J’ai de la difficulté à me concentrer.

Et K’pa qui n’en fini plus de roter des clous.

Et vous qui criez : ACTION!!!

15 novembre 2010

Repère les pirates

Après la pléthore d’anachronismes servie par Old Stinky Poop, la carte marquée d’une croix m’avait laissé imaginer une île déserte et désuète ; quelques palmiers, deux dunes et un rocher en forme de tête de mort plantés au milieu d’un océan azuré, gardés par un banc de requins…

Je suis pour le moins étonné. À mesure que j’approche de l’île, des gratte-ciels se profilent à l’horizon, ça grouille de bateaux et de monde et, cadeau des industries bordant la plage, l’eau passe de saline à saumâtre, à poisseuse pour finir visqueuse, ni plus ni moins.

J’arrive du côté des docks. Une haute paroi en ciment me force à continuer de nager. Tout près de moi, dans la flotte nauséabonde et déjà saturée, une bouche d’égout déverse un flot d’immondices. Parmi d’autres, je vois tomber des bouts de bois, des seringues, un rat, une vieille mitraillette, des poissons crevés et une chose tellement inattendue et dégueulasse que je vous l’offre en devinette. Mon premier est incomplet, mon second est exquis, mon troisième a déjà concocté des plats savoureux mais mon tout donne la nausée. Qui suis-je? Un demi cadavre de cuisinier.

Surmontant mon dégoût, je patauge discrètement dans la soupe brunâtre essayant de jauger les activités de l’endroit. Dans un décor gris béton, des dockers s’affairent entre des grues et des containers rouillés. Ils transigent de la marchandise anonyme dans toutes les directions : bateaux, camions, entrepôts et océan. Au-dessus de ma tête, quelqu'un balance une caisse de bois. Je me protège comme je peux des éclaboussures tâchant à tout prix de garder la tête à la surface (je n’ai surtout pas envie de savoir si ça goûte ce que ça sent). Ce faisant (plouf!), je rate l’arrivée d’un deuxième objet derrière moi et me voilà aspergé. Je me retourne pour découvrir une carcasse blafarde qui, inutile de vous le préciser, n’est pas une poupée gonflable mais bien un second cadavre. J’ai une pensée pour Culbuta et (coïncidence) un frisson me chatouille l’échine avec un rabot. Inutile de m’attarder, je dois sortir d’ici.

Je continue de nager le long de la paroi de ciment jusqu’à ce que je croise (alléluia!) une échelle de fer rouillée destinée aux petites embarcations. Mettant pied à terre, je m’offre un tour de reconnaissance. Malgré ma baignade dans l’eau plus que douteuse, personne ne semble faire attention à moi. L’endroit est vaste et bondé ; il me sera plus ardu que je croyais de « repérer les pirates ». En contrepartie, je pourrai aisément trouver une cachette et attendre les renforts sans attirer l’attention : ce que je.

Le temps passe et la nuit tombe, dissipant les bandits… ceux qui restent passé le couvre-feu doivent être terriblement redoutables.

Je profite de l’obscurité pour dénicher une toilette pour faire la mienne. J’essaie le robinet, pas de chance, il a rejoint depuis longtemps le paradis de la quincaillerie. Je me retourne, la cuvette est à ce point crasseuse que la majorité d’entre vous rechignerait à l’utiliser pour les basses besognes… j’hésite (ça arrive même aux meilleurs) à m’y laver le visage. En quête d’une alternative, je soulève le couvercle du réservoir ; l’eau qui si trouve n’est certainement pas potable, ni même propre mais avec ce que j’ai vu aujourd’hui, elle se mérite au moins le qualificatif de convenable (un petit verre d’eau convenable quelqu’un). Je me décrotte avec une joie indicible et (l’odeur aidant) j’ai presque les larmes aux yeux. Satisfait, je regagne discrètement ma planque pour la nuit.

Averti par mon dixième sens (que voulez vous de plus), je m’éveille vers (coup d’œil à la position des étoiles) 5h02… il va se passer quelque chose. J’attends quelques secondes et voilà que se fait entendre le léger ronron d’un moteur nautique.

Je me faufile hors de ma cachette pour aller me poster près de l’échelle de fer donnant accès à l’eau. K’pa s’amène au volant du yacht que je lui ai confié. Elle m’envoie la main. À mon grand désarroi, elle est seule, sans Tronc ni pigeon. J’imagine (et vous aussi) qu’on comprendra plus tard.

Alors qu’elle arrive à portée de l’échelle, je repère dans son sillage trois périscopes menaçants comme des ailerons de requins. « Attention! », je lui crie. Mais trop tard, trois sous-marins noirs avec des canons sur les flancs s’extirpent de l’eau d’égout (d’égout quoi?) dégoûtante, libérant des profondeurs une odeur pire encore que celle régnant en surface.

J’attrape le premier caillou à portée de main pour couler le premier sous-marin à portée de tir en chantant (sur un air assez approximatif) « get back, na-nan, get back, pa-pan, get back ta-ta-ta once belong ». La carcasse de ferraille éventrée nous offre un naufrage style Titanic ; probablement repoussée par les effluves putrides, elle s’y reprend à deux fois avant de sombrer définitivement. Les occupants n’ayant pas sauté par-dessus bord s’agrippent fermement pour ne pas entrer en contact avec l’eau mais en définitive, ils sont engloutis comme le reste.

Sur les deux autres sous-marins, des pirates, grappins en main, attendent le signal comme des chiens dressés avec une croquette sur le museau.

- À l’abordage! , aboie l’un d’eux.

- AAAAAhh! , glapissent les autres en se ruant sur le yacht au son des canons.

- Meeeuh, meugle K’pa. En se prenant un boulet dans le ventre.

- La vache, me dis-je.

Je neutralise les premiers se ruant sur K’pa avec des tirs de cailloux précis mais je me retrouve rapidement à court de munition. Rapide coup d’œil en quête d’un autre projectile… ÇA fera l’affaire. ÇA est un container bleu de 10 mètres par 4 plutôt lourd qui s’abat dans un fracas infernal sur le second sous-marin qui entonne (pour ainsi dire) son chant du signe. Ne reste que le dernier.

Comptant utiliser la même technique pour en venir à bout, je prends un nouveau container mais un grincement alarmant me fait tourner la tête. Une grue s’est mise en marche et balance vers moi une boule de pétanque puissance mille. Je lui lance ma boîte de fer. Je rate la boule qui me frappe sur la tempe mais j’attrape la grue. On pourrait considérer cela comme un match nul mais par mouvement de balancier, la boule revient me frapper l’autre tempe. Grue 2 - Mister 1. Je suis totalement sonné, même avec mon casque. Je tente un pas à l’aveuglette. Erreur cacastrophique! En tombant dans le vide, je compte les barreaux de l’échelle de fer avant d’atterrir tête première sur le devant du yacht : 52. Je me sens défaillir, deux fois dans le même roman, ça devient une habitude!

Si je retombe dans le coma, rendez-vous au chapitre 6.
Si je m’évanouis et que l’on me fait prisonnier, rendez-vous au chapitre 17.
Si (tout comme moi) vous préférez les livres dont JE suis le héros aux livres dont VOUS êtes le héros, cessez de vous plaindre et passez votre chemin.

8 novembre 2010

Le sang dans les voiles

Tandis que derrière nous, le quai s’éloigne à une vitesse effarante, le navire Grimaldine droit devant retrouve les proportions qu’il avait lorsqu’on en fut éjecté.

Et à mesure que nous gagnons du terrain remontent en moi, la honte de m’être fait berner, la rage de m’être fait berner et la soif de vengeance après m’être fait berner. Le tout ne pouvant être exprimé aussi clairement à voix haute que par écrit, je le résume par un « AAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHHHHHHHHHHHH!!!!!! » de super-héraut (héros, si ça vous chante) exulté par ma gorge virile et puissante, rapidement harmonisé à la tierce (la quinte, ou la septième mineure, qu’en sais-je ? je ne suis pas les Beatles) par un second « AAAAAAAAAAAAA-
AAAHHHHHHHHHHHHH! » dont K’pa pourrait s’enorgueillir si elle n’était déjà tant occupée à exprimer ses propres envies meurtrières.

[À ce stade-ci du récit, si vous n’y comprenez rien, il conviendrait de reprendre du début cette épique série d’aventures. Si vous préférez avancer aveuglément comme Stevie Wonder en visite dans le métro de Londres, je vous en conjure :
« Please, mind the gap ».]

Notre yacht parvenu à la coque du Grimaldine, nous nous lançons dans un abordage à faire pâlir Obélix et son petit sidekick à moustache.

Sur le pont nous attendent une dizaine de pirates dont chacun est à quelques détails près une copie du précédant tant et si bien que l’on peut se livrer à une petite game de « trouver l’erreur » en les observant. Ici, un bouchon de liège est fixé à la pointe d’un sabre. Là, un monocle remplace l’oeil de pirate. Ailleurs, un pélican se dresse sur une épaule à la place d’un perroquet. Et encore : un chapeau de capitaine avec un journal de Montréal en origami, un pompon de cheerleader à la place d’un crochet, un joli Gaëtan au lieu du Jolly Roger, une patte de chaise Louis XIV en guise de jambe de bois… et malgré tout, ils nous attendent de pied ferme.

K’pa donne le ton à l’assaut en rotant des clous (savez-vous roter des clous, à la mode…), envoyant les perroquets se ficher un à un le long du grand mat, décorant les voiles de fines gouttelettes rouges et de plumes multicolores. Le totem est ensuite coiffé par la tête du pélican dont K’pa tient encore le corps giclant comme une bouteille de mousseux dans la chambre d’une équipe sportive victorieuse (de votre choix).

Pendant qu’elle les asperge copieusement du sang du volatile, les pirates poireautent et je courge à toute vitesse pour me saisir de l’ancre du navire (tout en te concoctant au passage une phrase avec trois noms de légumes qui se marient bien dans un potage : APPLAUSE!).

La chose en main, je sépare la partie incurvée de la partie droite reliée à la chaîne (voir le schéma ci-contre) de manière à me fabriquer un boomerang d’une tonne de bouquins : 2 204 livres. Je balance ensuite mon arme de fortune qui frappe de plein (piètre vocabulaire, mais allons-y pour) fouet la tête du premier antagoniste.
Dès lors, j’attends, main tendue, que me revienne cette copie géante d’artefact australien mais, dû à une fabrication bâclée ou à son poids inusité, l’objet poursuit sa trajectoire rectiligne et n’est arrêté ni par les têtes ni par les dents, si bien qu’à l’instar de Free Willy, il termine son voyage dans l’océan, nous laissant sur le pont avec, à l’instar de Rambo, une bouillie de cadavres et, à l’instar de Pamela Anderson, quelques corps gémissants.

Sans égard pour les survivants, nous nous précipitons dans la cabine du capitaine. Vide ! On fouille la pièce pour trouver rapidement la rançon qu’on nous avait dérobée et le commandant second recroquevillé au fond d’un tonneau.

Pour le punir de s’être caché, je le claque d’abord avant de lui balancer cette
phrase que vous avez pu lire dans les previews (feignez la surprise) :

- Je vous le demande pour la dernière fois (c’est aussi la première mais on sauve du temps) : où est Culbuta ?

- Mais puisque je vous dis que je ne le sais pas!!

- Et Old Stinky ?

- Mais puisque je vous dis que je ne le sais pas!! (ma claque lui aura embrouillé l’esprit).

Bien décidé à ne pas entendre une troisième fois cette réponse qui, vous en conviendrez, ne m’avance guère, je prends sous mon bras le tonneau et son contenu et retourne sur le pont pour réfléchir à la suite des choses. À la vue des restes de ses camarades, le contenu du tonneau pâli sensiblement (3 teintes en une seconde, je doute que votre blanchisseur de dents en fasse autant).

« Toujours soucieuse d’occuper ses temps libres, K’pa entreprend de trier les bons des mauvais corps… les premiers se distinguant des seconds par le cri qu’ils émettent lorsqu’on les cogne contre le bastingage. Les premiers seront mis dans une pile pour être utilisés ultérieurement, les seconds balancés illico dans la mer, au grand plaisir de la faune locale. »

Ayant décrit à voix haute le processus, je m’enquiers auprès du gus dans le baril :

- Alors mon cher, vous joindrez-vous à l’équipe des bons ou des mauvais?

- NOOOOOOON !

- Non quoi? (vous comprendrez que je ne comprenne pas sa réponse…)

- Il est parti la rejoindre sur l’îîîîîle !

- Quoi ? m’entêtai-je avec flegme.

- L’îîîîîle, voici la carte ! La carte !

- Mais diantre, répondez à la question.

- L’équipe des bons !

- Ah.

Sur quoi je le balance dans le charnier où il est accueilli par quelques « aïe! » peu enthousiastes et un bruit de soufflet partiellement obstrué.

La carte que je déplie est parsemée d’îles et je suis navré de constater que l’une d’elles effectivement marquée d’une grosse croix en dessous de laquelle on a écrit « repère the pirates » (fautes en prime). J’en viens à me demander si l’on ne veut pas me faire mourir d’ennui.

Je laisse le yacht et la carte à mon acolyte pour aller chercher les renforts. Je plonge pour me rendre à la nage et de mémoire au lieu désigné.

À une vitesse de 5 exposant 23 noeuds, j’y serai pour le début du prochain chapitre, sinon vous commencerez sans moi.

1 novembre 2010

Au port camarades

Dans ma giant caboche, sous mon super-casque, je m’étais dit que le plus difficile serait de se procurer l’argent de la rançon et que le reste serait un jeu d’enfant; que nenni !

Nous voilà donc au port, tout est calme, les bateaux amarrés grincent et s’entrechoquent doucement au gré des vaguelettes, ça sent les algues et le poisson pourri… il est près de minuit. Mes trois acolytes et moi allons en file indienne et en ordre de grandeur : Zachary, le pigeon tronc, éclaireur discret, ouvre la marche, suivi de près par K’pa, fière amazone, moi-même, cerveau et direction, et finalement Popol portant sur sa tête, comme une mama africaine son paquet de chiffons, le coffre rempli de bijoux et d’or exigé par le kidnappeur.

Hormis Popol qui trépigne à l’idée de revoir et de baiser (la main de) sa charmante épouse, on est pas trop nerveux; l’échange devrait être une formalité, du genre :

- Donne l’argent.

- Non ! La fille d’abord.

- Les deux en même temps alors.

- Ok, donne moi le pied de la fille et prends une poignée du coffre, on compte jusqu’à trois, on tire et chacun part avec son bagage.

- 1-2-3.

- Ce fut un plaisir de faire affaire avec vous.

- De même.

On cherche donc sans se presser le navire Grimaldine où doit se faire l’échange. Le voilà là (la la la). On se hisse tour à tour sur le pont, hop-hop-hop et hop. Le vieux fantôme d’Old Stinky Poop est là (je vous avais dit que c’était lui alors pas besoin de faire semblant d’être étonnés) entouré de plusieurs hommes déguisés en pirates qui détonnent dans cette marina de banlieue.

« À l’heure comme prévu, (fond de) tonne le chef de la bande. Amenez la fille! » Sur quoi, il snappe de ses doigts vaporeux. Trois gars viennent s’ajouter à la demi-douzaine déjà présente. Ils portent un tapis d’où dépassent des pieds furieux, se débattant comme au premier jour de la capture. Voyant cela, Popol émet un grognement sourd que je réprime d’un modeste coup sur le tibia.

- Vous avez l’or ? me demande le spectre.

- Bien sûr, dis-je en délestant mon compère du poids qu’il a sur le crâne. Voyez par vous-même, tout y est. J’ouvre le coffre pour qu’il voie combien ça brille.

- Maintenant, donne l’argent !

- Non ! La fille d’abord. (remarquez ici comment se créent généralement les impressions de déjà vu).

- Allez Mister, on connaît le protocole.

Ses gars approchent et nous tendent les pieds de Culbuta dont K’pa se saisit. J’offre une poignée du coffre à un de ses hommes. Et, troublant le calme portuaire, tous autant que nous sommes, on compte à voix haute, forte et enjouée :

- Un bateau-bateau, deux bateau-bateau… trois!!!

Ce qui s’est passé ici se déroule un peu vite pour vos yeux de taupe alors je vous le décris tranquille, de long en large.

Au compte de « deux bateau-bateau », les hommes se passent le coffre rapidement d’une main à une autre jusqu’à la cabine qui se referme net.

Au compte de « trois », K’pa tire sur les pieds qui sortent d’un coup du tapis dévoilant des jambes, des fesses, un ventre, des BRAS ?!? et une tête qui, quoi que (comment?) splendides à souhait, ne sont pas à Culbuta. À peine s’est-on aperçu de la traîtrise que nous sommes projetés par dessus bord, surpris par le bateau qui démarre et aidés par de généreux coups de pieds dans le bas-ventre.

Dans la flotte boueuse, K’pa et l’inconnue nagent avec grâce vers les quais tandis que je porte secours à Popol. Le gars se débrouille comme il peut avec ses jambes et tient Zachary dans sa gueule pour le sauver de la noyade… sort auquel le pigeon ne semble pas se résigner docilement puisqu’il roucoule à tout rompre, tant que faire se peut.

Je suis accueilli en sauveur sur la berge par deux filles trempées qui se livreraient une chaude lutte dans un concours de wet t-shirt. Mais on ne flâne pas et après une brève étreinte de chacune d’elles, je confie Popol et Zachary aux bons soins de la petite sirène et j’entraîne K’pa vers un bateau à moteur tout proche. J’eus préféré me faire donner le bouche à bouche mais le tout puissant, qui m’a fait à son image, me prive ainsi de ce menu plaisir.

L’avantage des excentricités de notre ennemi, c’est que son bateau à voile, aussi fier soit-il, ne se déplace pas comme notre yacht et on aura tôt fait de le rattraper.

[Laissons-nous sur cet extrait du prochain épisode…
- Je vous le demande pour la dernière fois (c’est aussi la première mais on sauve du temps) : où est Culbuta ?
- Mais puisque je vous dis que je ne le sais pas!!]