27 septembre 2010

QG de MISTER BOY's HQ

La tâche consiste à écrire le nom de notre QG sur une affiche de bois. J’aurais pu m’en acquitter moi-même mais je l’ai confiée aux vrais artistes et les regarde « manoeuvrer ».

Popol tient entre ses dents une lourde planche de pin (qui a dit tranche de pain?) pendant que sa charmante épouse, pinceau à la bouche (elle a l’habitude), trace de sa plus fine calligraphie les lettres qui orneront l’enseigne de notre quartier général : QG de MISTER BOY’s HQ.

Hé oui, enseigne bilingue pour un quartier général qui, pour plusieurs raisons, devenait de plus en plus indispensable (le QG pas l’enseigne). Je rêve depuis un moment de me rapprocher du bureau et mon lit d’invité, aussi king size soit-il, supporte mal K’pa, le pigeon et les ébats des nouveaux mariés. Ainsi donc, chambre séparée pour les uns, conjointe pour les autres et QG pour tout le monde. C’est ma tournée!

J’ai déjà reçu nombre de lettres d’inquiétude via le courrier des lecteurs se résumant à peu près comme suit :
« Oui mais Mister, est-ce bien sécuritaire de poser une affiche indiquant l’emplacement secret de ton QG?! ».

Situé à proximité de l’un des innombrables « Lac à’a truite » du pays et doté des commodités modernes telles que le poêle de fonte, la pompe à l’eau, la boîte à lettre et le bac à recyclage pour le courrier des lecteurs, ainsi que le téléphone à cadran, ce rustique QG de bois ronds est assez difficile à situer sur une carte. On est dans le bois mes agneaux, rien à craindre, sauf les ours peut-être, brutes sanguinaires. Sans compter que mon simple nom sur l’affiche arrêtera les plus cultivés d’entre eux.

- Oui mais Mister, d’objecter à nouveau quelques lecteurs craintifs (les mêmes probablement), ne serait-il pas plus prudent de se munir d’un QG high-tech comme tout super-héro qui se respecte ?

Si Senor Batman a besoin de tout son bataclan (bat-mobile, bat-cave, etc) et si le pape à besoin de tout son papaclan (pape-vatican, pape-mobile, pape-marchette, pape-pier-cul, etc), grand bien leur fasse. Ça témoigne de leur grande vulnérabilité. De mon côté, un peu de repos et de grand air suffiront… mes qualités personnelles feront le reste.

De plus, si par malheur quelque malfrat en venait à se jouer de notre quasi-infaillible vigilance, découvrir l’endroit et le détruire, nous l’aurions reconstruit le lendemain… pratique!

Finalement, pour terminer, soit dit entre nous et en guise de conclusion, ça revient beaucoup moins cher. Avec K’pa qui rote des clous, du bois plein la forêt et les Troncs (qui a dit Troncs d’arbres?) comme « main d’oeuvre », ne reste que le terrain à payer.

En parlant des Troncs, ils ont terminé la pancarte d’arrache pieds alors je les mets au repos et K’pa et moi on prend le relais pour la poser au devant de la cabane.

Cela fait, on s’attable pour manger un brin (qui a dit de scie?) et voir par où on commencera les démarches… on a du pain sur la planche (qui a dit pin sur la tranche ? non mais faut pas charrier).

Je distribue les ordres :
- Paul, on va envoyer le pigeon-tronc et tu vas le suivre. Espérons qu’il retournera à son propriétaire, un allié potentiel. Essaie de savoir comment lui-même a pu savoir pour le faux prêtre.

- Culbuta, j’aimerais que tu contactes de ta voix la plus suave les gens du bottin que j’ai pris sur le cadavre du gars qui t’a estropiée.

- K’pa, tu composeras les numéros et tiendras le téléphone, ça ira mieux.

- Je vais voir si j’arrive à réparer mon super-casque.

Chacun se dirige vers sa tâche et moi vers la mienne, non sans avoir ramassé les outils nécessaires à la dite et je terminerais ici ce splendide épisode charnière n’eut été des quelques incurables que j’entends à l’avance : « Y a pas eu de bataille, c’est plate ».

Donc en chemin vers l’établi adjacent à la cabane, je rencontre malheureusement un méchant fou-malade qui me veut du mal, lui cloue le bec, lui scie les jambes, le fout dans la vieille barque au bord du quai et lui troue la peau avec un vil(vraiment vil)-brequin. Je quitte les lieux pendant que son sang se transvide de son corps à la barque bientôt pleine qui coule à pic au fond du lac. Hourra.

20 septembre 2010

Je vous déclare mari et Aaarghh....

Près de cinquante voitures sont garées dans la rue menant à la charmante église du méconnu village d’Oncle-sur-Mère. Elles sont toutes décorées de fleurs et de condoms gonflés, coutume locale lors des mariages.

Longeant la rue en se dirigeant vers l’église, un pigeon les survole. Il laisse tomber quelques fientes au passage, juste pour la forme, perpétrant ainsi la tradition et entretenant l’éternelle discorde pigeon-voiture.

L’affiche de plastique blanc ornant le parking annonce : Ce dimanche, l’union de notre chère Culbuta et M. Paul Lentier alias Paul « Tronc ». Une orgie bénigne à la salle paroissiale suivra la cérémonie.

Le pigeon se dirige vers l’entrée principale. Quelques retardataires se pressent dans le grand escalier de pierre. Comme s’il devinait les intentions du pigeon, un homme en smoking noir lève les yeux vers lui et s’écrit : « merde » (en effet).

Le volatile, indifférent, franchit les deux portes de bois hautes et larges et pénètre à l’intérieur. Il s’arrête pour prendre un bain d’eau bénite afin d’être digne du saint lieu. Se faisant, il scrute la fresque touchante composée par les convives devant lui.

À gauche, les invités de la mariée en nombre nettement supérieur; Culbuta tenait à se marier dans son village natal. Les femmes sont habillées très légèrement, à se demander si la robe du prêtre ne contiendrait pas suffisamment de tissu pour les habiller toutes. Toutes sont jolies et souriantes alors que les hommes sont beaucoup moins beaux, plus gros, plus vieux, mais tout aussi souriants.

À droite à l’arrière, quelques amis et membres de la famille du marié dont plusieurs éclopés.

À droite à l’avant, ses parents se tenant par la main. Elle n’a qu’un bras, le gauche, et lui le droit. À cause de cela, les gens ont tendance à croire que le fils soit un né-tronc, mais il n’en n’est rien. Les légendaires malchances familiales sont à la fois la cause de l’allure des invités, des parents, du fils et du peu d’assistance à son mariage.

Derrière l’estrade, un choeur d’enfants et d’adolescents barbus venus de l’étranger.

En plein centre, les troncs chouettement vêtus, le prêtre dans sa soutane blanche, K’pa et nul autre que Mister moi-même avec mon collant brun, cape d’apparat et mon rutilant super-casque ! Pas qu’il soit de circonstance, mais ça leur fait plaisir que je le porte.

(Je vous entendais chialer depuis le début: « Mais où est Mister ? C’est quoi l’affaire du pigeon ? Je comprends rien. C’est platte. Gnagnagna. Gna-gna-gna.» Calmez-vous, me voilà.)

Même quand on s’appelle Mister Boy, il y a des moments dans l’existence que l’on espère ordinaires, calmes, banals et sans anicroches : le mariage fait partie de ceux-là.

Jusqu’à lors, ça va comme sur des roulettes. Les convives baillent, sourient ou pleurent selon leur tempérament. La chorale fausse. Le prêtre est ennuyeux à souhait. Son visage m’est vaguement familier et je me désennuie en tâchant de me rappeler, un, où je l’ai vu et deux, qu’est-ce qu’il fera quand les troncs devront échanger les alliances ?

La cérémonie bat son plein lorsque je remarque que mon Popol semble distrait de son propre mariage. Il suit d’un regard intéressé le vol d’un pigeon qui est entré on ne sait trop comment mais que les gens ne semblent avoir remarqué, trop absorbés par le prêtre qui entame la phase du discours que tout le monde attendait.

- Si quelqu’un a une abjection (abjection, oui) à ce mariage, qu’il se taise à tout jamais ou périsse dans les feux éternels de l’enfer pour avoir gâché une si belle journée.

La voix du prêtre ne m’est définitivement pas étrangère… ça me chatouille les méninges, mais avec le pigeon qui s’approche de nos têtes, j’ai d’autres «chats» à fouetter dans mon super-casque.

- Madame Culbuta, désirez-vous prendre le scabreux mais aimant M. Paul Tronc ici présent pour époux ?

L’oiseau lâche un truc que je prends d’abord pour une fiente parce que c’est blanc et que ça tombe d’un pigeon, puis pour une plume parce ça descend plutôt lentement et, finalement, pour un minuscule carré de papier, parce que s’en est un.

- Oué, j’en veux, de répondre poliment la future madame Tronc (mais qui a déjà tout ce qu’il faut pour le rôle, comme vous savez).

Le papier tombe délicatement sur la table devant mon Tronqué, mais je n’arrive pas à voir à cause d’un gros et inutile cierge électrique. Le prêtre poursuit son oraison sans se préoccuper ni du papier, ni du pigeon, et encore moins du cierge.

- M.Paul « Tronc », né Lentier, désirez-vous prendre la ravissante mais souvent déplacée Culbuta ici présente pour épouse ?

À ce moment, Popol tente de lire le papier en ce penchant discrètement vers la table puisqu’il n’a toujours (hélas) pas de bras pour l’amener à lui.

- Hum ! Fait le prêtre sans même lever les yeux.

- Évidemment ! De répondre mon acolyte un peu brusquement.

Hums, toux et murmures de désapprobation du côté de la mariée qui, on le sait, est en avantage numérique.

Faisant fi de cela, n’écoutant que son courage, Tronc se penche toujours plus en avant pour arriver à lire le fameux papier largué par le pigeon. Il est à environ 3 pouces du visage du prêtre qui poursuit sans relâche vers la phrase finale. Ça y est je sais où je l’ai vu!!

- Je vous déclare mari et Aaarghh…

Popol vient de mordre le cou du prêtre!!! Hums, toux et murmures de désapprobation générale. Il va y avoir de la casse !

- Mes madames et messieurs, dis-je…

La chorale d’enfants barbus déchire à l’unisson ses vêtements pour dévoiler des nains (une troupe de nains pour être exact) armés de haches, nunchakus, grenades, statues de la sainte vierge et autres objets contondants.

La foule se met à hurler et se précipite vers les orifices (traduction locale des mots « exit » et « enter »).

Relevant la manche gauche de sa soutane, le prêtre dévoile un crochet (tiens donc?!) avec lequel il tente de déchiqueter le tronc du Tronc (hep), mais l’autre n’a pas lâché sa trachée qui se met à saigner et à fumer (je m’en doutais, vous verrez!).

- À l’abordaaage! crie-t-il au bord de la démence.

Les nains se massent vers nous comme une armée de nains.

K’pa en saisit deux et leur rote des clous dans les yeux.

J’attrape et relance tant bien que mal les grenades, statuettes et autres projectiles créant des ravages considérables aux biens et meubles de l’église. La cohorte se disperse en hurlant.

Le pigeon a définitivement montré qu’il est dans notre camp et fonce en piquée sur les petits hommes.

Culbuta, expédie les convives restants à coups de pieds au … (ah pis, depuis quand je suis prude) cul pour leur éviter le pire et revient se joindre à la mêlée.

Le prêtre s’est libéré et crache de sa bouche et de sa plaie à la gorge deux flammes (de plus en plus intéressant!!). Popol avale la première et sa femme la deuxième. Ça ne sent le pain à l’ail et à la chair humaine mais je crois qu’ils vont encaisser.

Je lance une statue sur le crâne du prêtre qui passe de vie à trépas sans plus de cérémonie ; mais son sacré feu (ou vice versa) ne s’éteint pas pour autant! Les derniers soubresauts du pyromane sont dédiés à K’pa et la demi-douzaine de nains qui l’assaillent. Les esprits s’échauffent et les barbes s’enflamment. Elle rote des clous dont le fer fond sur ses ennemis. Elle se prend des coups de nunchakus, sur les jambes, les bras et les épaules. Avec grâce et agilité elle se penche rapidement pour éviter la dernière étincelle de Feu Monsieur le curé (trop chaud Mister, tsssssss!). Un nain avec un genre de super-casque lui saute la tête la première au visage. Déjà inclinée qu’elle était, elle s’écroule… comme la tour de Pise si on ne la retenait pas.

Le nain s’élance alors à toutes jambes contre un mur et se donne un élan qui le propulse à quelques mètres dans les airs. Il attrape par les pattes le pigeon qui malmenait ses amis. À l’atterrissage, il lâche l’oiseau et lui cogne les deux ailes de ses mains à plat comme dans les films de kung-fu… ça tranche ! Du jamais vu ! Un pigeon-tronc. La famille s’élargie.

La pauvre bête s’enfuie d’un pas décidé (c’est boiteux, je sais mais) sous un des bancs renversé par l’explosion d’une grenade égarée.

Je regarde autour de moi et vois au ralenti la scène cauchemardesque. Les rideaux et les barbes en flammes. La pierre, le plâtre et le marbre dévastés. Le sang sur les camisoles déchirées des enfants de choeur. Mes alliés hors d’usage ou se débattant du mieux qu’ils peuvent. Les armes au sol et le cadavre du prêtre fou tenant encore sa gorge fumante.

Il n’y a qu’un moyen de stopper l’affaire : attaquer le chef de la bande ! Je fonce vers le nain au casque. Comme s’il avait eu la même idée, il fait de même. Chef contre chef. Couvre-chef contre… (est-ce que j’ose?)… couvre-chef (Yé!).

Je place mes deux mains à la base de mon super-casque, me baissant de plus en plus. Mon vis-à-vis fait pareil. À quelques mètres de distance, je ferme les yeux et m’envole, ni plus ni moins, à l’horizontale.

En une fraction de quart de seconde, je pense au choc à venir, j’espère qu’ils n’ont pas acheté de la camelote, je pense aux pensées du nain et (si on se fie à Lord of the rings) à leur savoir faire en matière d’armures.

CRRAAKCKCK!!! Ma tête ! Je me relève à demi conscient. Nos deux casques sont brisés sur le sol, reliques de cette hécatombe, mais le nain ne bouge plus. J’ai gagné!
Je regarde autour, mais contre toute attente, les autres ne fuient pas. Ils ont même l’air plus enragés.

Un d’entre eux essaie d’attraper le pigeon dont la cachette a pris feu. Un autre tire à lui seul le corps inerte de K’pa vers le brasier de bancs d’église. Un petit groupe encercle les Troncs qui en ont (si je puis me permettre) plein les bras. Ils repoussent à peu près les attaques mais dilapident leurs ressources mieux qu’un joueur compulsif devant une machine à sous.

Voyant cela, je devrais être complètement abattu mais je prends une grande respiration et m’abreuvant à la source de lumière délicate filtrée par les vitraux, je sens venir un deuxième souffle de vie, une énergie pure, probablement divine. Dans mon esprit, les tumultes du massacre cèdent soudain le pas à des arpèges de harpe. Mes muscles sont frais, ma conscience tranquille.

Je relève mes manches, me crache dans les mains, je saisis la barbe du premier nain passant à portée et je commence à réaliser un fantasme universel et ancestral de l’humain : jeter des nains méchants hors d’une église en flamme en les battant avec un autre nain en le tenant par la barbe !

Ceci étant fait, je récupère mes amis qui se remettent de leurs émotions. Nous annonçons aux convives que l’orgie devra se faire sans nous, ce qui n’est pas sans leur déplaire mais qui, au bout du compte, est tout de même mieux qu’une annulation.
On profite de leur départ pour tenir conseil dans les décombres fumants.

- Que disait le papier ? m’enquis-je auprès de Popol.

- Attention au prêtre, il est dangereux…

- Sais-tu d’où vient le message ?

- Comment-tu veux?!

Il n'a pas tort. Je commence à leur expliquer que j’ai reconnu le prêtre et comment j’ai reconstitué l’histoire de tous nos ennuis.

Dans toute ma magnanimité, je vous explique aussi pour vous garder dans le coup. Écoutez sagement et forcez-vous, diantre!

Les problèmes ont débuté le jour suivant l’entrevue pour mon acolyte. J’ai jeté mon dévolu sur Popol et il s’est fait attaqué. Ce jour là, j’ai retrouvé 500 numéros de téléphone mais je n’ai pas bien compris de quoi il en retournait. Peu après que Popol et Culbuta aient été mis KO, je m’associe à K’pa. Elle est aussitôt attaquée pour servir d’appât dans l’attaque qui mena à mon coma. Vous me suivez? À l’hôpital et depuis ma sortie, les embuscades se succèdent; échecs lamentables peut-être, mais c’est dangereux malgré tout.

J’ai reconnu le prêtre comme étant le #642 à l’entrevue, j’ai oublié son nom, Old quelque chose, mais qu’importe. Je soupçonne fortement que les 500 numéros appartiennent à d’autres candidats. Même débarrassé du pirate cracheur de feu, des nains et de quelques autres, on est loin du compte et, par chance pour vous, pas au bout de mésaventures (mes aventures, c’est comme vous préférez).

13 septembre 2010

Super-casque ou Le retour des Troncs

Assis sur un lit d’hôpital, je digère tant bien que mal l’araignée que je viens d’ingérer. Peu à mon aise dans une jaquette qui s’ouvre seulement par l’arrière (l’inventeur de cette chose est sans contredit un homme sournois), je tente de me souvenir des événements qui ont pu me conduire dans cette fâcheuse posture.

- Infirmière!?

Des bruits de pas dans le couloir. On ouvre la porte de la chambre voisine (la sœur de Roch). On marmonne quelque chose. Les bruits de pas se rapprochent de ma porte à moi (la mienne).

La créature qui vient s’enquérir de mon bien être me donne envie de raccrocher les collants de super héros et de passer le reste de ma vie en convalescence. Elle se tient bien droite, ce qui, sans même faire exprès, met bien en évidence sa taille et ses formes parfaites dans son uniforme que la coquine a repêché au rayon du « déguisement pour fillettes ». Me regardant avec un demi sourire, les yeux compatissants, à l’affût du moindre de mes désirs et de mes petits caprices de patient, elle me dit d’une voix à faire s’embraser une combinaison en amiante :

- Oh, vous êtes réveillé Mister ! Enchantée de vous revoir parmi nous. Mon nom est Cassandre, que puis-je pour vous ?

- Je vous en prie, prenez quelques jours de congé et vous pourrez vous assurer de mon complet rétablissement.

Elle s’approche (les seins devant) et à ma grande surprise, elle m’embrasse à pleine bouche.

- J’aurais adoré, mais c’est impossible, croyez-vous être le seul qui ait besoin de moi dans cet hôpital ?

Mon coeur se brise. Elle continue à la fois de manière nonchalante, charmante et expéditive :

- Je vous envoie vos vêtements et quelque chose à manger, si vous avez besoin de quoi que ce soit (elle appuie sur les mots)… appelez-moi.

Elle ferme la porte me laissant seul avec l’image de son cul qui quitte la pièce et son parfum qui vole dans tous mes sens.

Mon coeur se brise. Ah, non, c’était déjà fait… enfin.

Quelques instants plus tard, un énorme employé énormément jovial vient me porter mes collants bruns ainsi qu’un déjeuner qu’il a dû préparer lui-même si je me fie à la grosseur de la portion (disproportionnée). Je me mets à manger de bon appétit, on est bien traité dans cet hôpital !

J’en suis à la fin de ma troisième assiette quand surgit la cerise sur le sundae de ma bonne humeur : LES TRONCS!

Popol et Culbuta, plus infirmes que jamais et maintenant tendrement amoureux, sont dans une forme surprenante (un couple d’homme et femme tronc avec des jambes, ça fait souvent une forme surprenante). L’amour a rendu mon Tronc-Juan plus ouvert et plus loquace.

Bien que j’aie été au cœur de la scène et que lui n’y ait jamais assisté, Popol ramène à mon souvenir la spectaculaire collision entre les autobus qui m’a laissé dans ce drôle d’état pendant des semaines. Il me raconte en vrac comment je suis entré à l’hôpital au moment même où eux devaient en sortir, comment ils ont veillé nuit et jour à ma sécurité, les démarches entreprises avec K’pa pour me procurer un super-casque (« désolé patron, je devais pas en parler, tu feras semblant d’être surpris ») et combien il est étrange que je me réveille à ce moment précis parce qu’elle est justement allé le chercher (ah, la vie). Il me narre tout ça d’un ton enjoué mais s’interrompt finalement pour prendre une pose solennelle (oui mon Solennel, à vos ordre mon Solennel):

- Mais maintenant que tu sais tout ça Mister. Il faut qu’on te parle d’une chose sérieuse.

- Qui a-t-il mes enfants ? J’use toujours de ce ton paternel pour les mettre en confiance.

Il regarde vers Culbuta, sa douce moitié, et me dit tout ému :

- Moi et ma pute, on va se marier ! On aimerait que tu sois garçon d’honneur.

Les Troncs ! Se marier?! Je me retiens pour pas me marrer. J’ai hâte de voir la tête du prêtre quand il leur demandera d’échanger les alliances. Et Mister garçon d’honneur ? Elle est bien bonne.

Je me fabrique un visage sérieux, noble, digne de la circonstance, avant de répondre:

- Culbuta, Popol. Ce sera un honneur pour moi d’accepter cette humble mission.

Ils sont au comble du bonheur et voilà K’pa qui entre dans la pièce, toute contente de me voir enfin réveillé. Elle porte dans ses bras un paquet-cadeau format super-casque. Tout le monde s’enlace tant bien que mal (surtout les Troncs) et K’pa m’offre le dit cadeau.

Je défais l’emballage, non sans faire à Popol un clin d’oeil gros comme le derrière de l’employé qui m’a apporté mes vêtements, et je m’exclame de la voix d’un cocu qui attrape sa femme le trompant avec son meilleur ami le jour de son anniversaire :

- Oh ! Vous n’auriez pas dû!

C’est quand même chouette, un super-casque!

7 septembre 2010

Le fil

Mister B l’oeil vide, l’oeil froid, l’oeil sec, le regard hagard.

La rumeur circule, est-il vivant ? Est-il mort ? Retraité-anticipé? Misterboynappé?

De l’intérieur de ma tête, je regarde dehors par mon oeil vitreux. Je comprends plus rien. Chaise, draps, fenêtre, néon, soluté… de l’autre côté du hublot, les formes n’ont plus de noms, et les noms, plus de sens. Mon crâne est un sous-marin sans équipage, une boîte de taule vide.

J’ai mis mon cerveau à off et mon corps à moins que ça.

J’ai pas bougé, pas mangé, pas baisé, pas lavé, pas rasé depuis tellement longtemps que j’m’en rappelle plus.

Pourtant, depuis un moment déjà, quelque chose a changé dans mon décor.

Il y a eu une espèce d’éclipse de lumière très brève. Depuis, il y a un fil scintillant qui traverse mon champs de vision de haut en bas, ça me gène.

Cet événement a réanimé la conscience de mes signes vitaux. Je respire, mon coeur bat et je vois.

Ça a aussi réanimé mon intellect. Qu’est-ce que c’est que ce fil d’argent ?

Ça a même réanimé mes émotions. Il m’énerve ce fil.

Mais je suis toujours immobile, mon corps comme un vieux rocher trop de fois centenaire.

Dans un fragment de lucidité, une frêle petite bulle, j’ai compris que le fil est la clé pour me sortir de cette léthargie. Après tout, il a déjà commencé le travail de réanimation sans me demander mon avis.

Je dois comprendre… une éclipse, un fil brillant !?

À cause de l’angle de la lumière en provenance du plafond, je suis certain d’être couché, le dos légèrement rehaussé. Le fil part du sommet de mon crâne jusqu’à très loin en bas. Pour voir où il va, je dois reprendre le contrôle de mes yeux. On dirait que j’ai oublié comment m’en servir. J'essaie mais ils ne bougent pas, ils fixent.

À la 129e tentative, ils tremblent imperceptiblement. Ça fait mal. C'est rouillé et ça grince comme une chaîne de vélo après 40 hiver sous la neige. J'ai l'impression qu'on me passe une lame de rasoir enduite de venin dans l'oeil. Je pleure, MOI. Mais je crois que ça y est. On reste dans le domaine de l'infinitésimal et à côté de ça, une limace portant un casque passerait facilement pour un bolide F1, mais oui, ça bouge. Yoctomètre............ zeptomètre (vous connaissez?)....... attomètre..... douleur atroce... femtomètre... picomètre, nanomètre, micromètre (on y est presque)... trop mal... millimètre... 1-2-3-achevez-moi... 8, 9, centimètre. Eurhh.

Pour célébrer ce marathon de la micro distance, je reprends mon souffle et je souffre en silence. Je suis incapable de cligner des yeux. À mon corps défendant, je laisse donc tomber les larmes en prenant le temps de m’habituer aux nouvelles images.

Le fil se rend jusqu’à un truc que je reconnais comme mon pied malgré sa pâleur et les ongles longs comme des sabres. Entre mes deux pieds, une mosaïque de fils parfaite avec un point noir au centre.

Eh merde, j’en suis là! Une araignée installe son hamac sur mon corps pour une sieste!!

Trop d’inertie et de catatonie, ça pique dans tous mes membres, il est vraiment temps que je bouge mon corps d’athlète (avant qu’il ne m’en reste que les pieds).

Je me concentre sur chaque os, chaque muscle, chaque nerf en fixant l’insolente bestiole.

Je bondis en avant en criant de douleur et j’attrape la chose. J’ai besoin de reprendre des forces, là, tout de suite. Je la gobe.

En me massant la nuque d’une main, je libère mes cheveux et mes pieds de ce damné fil.