27 décembre 2010

Rififi dans la Twins Tower

Alors que nous courrons vers le bar, un message diffusé à l’interphone par une agréable voix féminine nous informe sur la teneur de la conversation téléphonique d’Œil Crevé dans le chapitre précédant :

- Chers clients et membres du personnel, cet hôtel est désormais la propriété des frères Twins ; ils le rebaptisent Twins Tower. La nouvelle direction suspecte l’indésirable présence de Mister Boy dans l’édifice. 100 000$ dollars sont offerts pour un bras ou une jambe, 200 000$ pour un organe vital, 10 000$ pour les menus morceaux et 2 millions pour le lot : présentez vous au bar pour votre récompense.

Ouch! Dans mon métier, les détournements d’avions et d’autos sont plutôt fréquents, mais un détournement d’hôtel avec rachat du personnel, c’est très fortiche! Même dans une île peuplée de bandits.

Déjà quelques portes s’entrouvrent dans le couloir. On va bientôt patauger dans les méchants. Heureusement, Le Tronc a la présence d’esprit de profiter à nouveau de notre déguisement. Imitant à la perfection une voix de femme de chambre hystérique, il crie :

- Il est parti par-là, en montrant du gros orteil la cage d’escalier la plus proche.

Trois types se lancent illico « à notre poursuite ». Un autre défonce la vitrine d’une boîte rouge contenant le kit d’urgence pour les incendies pour y prendre une hache avant de les suivre.

Ça me donne une idée! Je cours vers l’ascenseur au centre du couloir. Dans la cabine, j’appuie sur les 252 boutons et je ressors prestement. Je déroule le boyau d’arrosage, je vérifie s’il est bien fixé et je le balance par la fenêtre. Je demande à mes compères de descendre le long du boyau jusqu’à l’étage du bar (voir le tronc effectuer ce tour de force me tire presque une larme). Avant de les suivre, j’active l’alarme d’incendie.

En descendant le long du mur extérieur, je m’arrête aux fenêtres pour apprécier la contusion (comme disait Contucius) qui règne dans l’hôtel. Des gens affolés courent vers l’ascenseur : bloqué! D’autres se ruent dans les escaliers déjà trop engorgés. Des truands armés se tirent ou se taillent en pièces dans des clameurs et des cris d’agonie. Merveilleux!

À l’étage du bar, l’atmosphère est étonnamment tranquille. On entre discrètement par la fenêtre. On se dissimule derrière une plante touffue dont vous ne connaissez pas le nom et on attend de comprendre pourquoi c’est calme avant de tenter quoi que ce soit. L’explication nous arrive en deux parties.

Premièrement, une femme comme les autres (trop flou pour vous ; fin trentaine avec un chignon, c’est mieux?) se présente à la porte du bar avec un couteau de boucher et une jambe velue. La jambe ne lui appartient visiblement pas puisqu’elle la porte sur l’épaule. Œil crevé se montre avec un fusil de calibre… (je ne connais pas les fusils, j'en ai rarement besoin, alors j’approxime) gros. Il regarde la jambe. Il murmure quelque chose à la femme et pointe son fusil sur sa jambe à elle. Elle pâlit, laisse tomber la jambe velue et le couteau puis elle détalle. Il tire sur sa jambe à elle. La sauce gicle et la jambe se désintègre. La fille rampe à couvert derrière une autre plante dont vous (peu féru en botanique) ignorez aussi le nom.

Deuxièmement, la voix suave de l’intercom vient à nouveau nous traduire l’essentiel d’une conversation inaudible (c’est commode!) :

- Chers clients et membres du personnel de la Twins Tower. Après avoir reçu 102 bras, jambes, foies, rates et cœurs, nous annulons l’offre sur Mister Boy en pièces détachées. 2 millions sont toujours offerts pour le lot.

La suite va d’elle-même (vous devinez?). Je retire mon costume de femme de chambre et je demande au Tronc et (surtout) à K’pa de me transporter. Je fais semblant d’être mort et on les prend par surprise… ça c’est vu souvent et ça ne rate jamais (parlez-en aux troyens).

On se pointe à la porte. Œil Crevé vient rouvrir, excédé. Je ne vois pas son visage (n’oubliez pas, je fais le mort) mais je parie (ta bouille contre la mienne) que son expression change en me voyant : « Ha, ha! Les gars, on l’a eu! ». J'entends répondre l'autre frère et Old Stinky qu'ils ont visiblement (ou audiblement pour être exact) réussi à libéré. Je change de mains et on me jette au milieu du bar. Les pas de mes compères suivent de près.

J’écoute très attentivement pour être certain d’avoir les deux frères à portée de main avant de bouger. Pour le peu de mal qu'il peut faire, on s'occupera plus tard du fantôme.

- À propos de la récompense? demande K’pa nerveuse.

Si j’avais connu la suite, jamais je n’aurais échafaudé ce plan.

Tout s’écroule si subitement et dans une violence si unique aux frères Twins qu’il m’était impossible de venir voir le coup.

POW! POW! POW!

Mon cœur s’arrête, mes yeux s’ouvrent et je crie : K’PAAAAA!

Si je constate tout de suite qu’elle est intacte, je mets une fraction de seconde à réaliser que c’est sur moi qu’on vient de tirer.

La plaie sur mon ventre ressemble à une morsure de chien enragé. Je regarde les trous (calibre gros) et les lambeaux de chair blanche rose et rouge sans trop comprendre. Le sang fait de petites bulles par endroits.

Je regarde mes amis. Ils sont gris. Le Tronc se met à vomir. Je vous rappelle que K’pa peut s’évanouir sur commande : 3-2-1-pouf!

C’est ensuite que vient la douleur. Je suis cloué au plancher.

Les frères rient. Œil Crevé me demande :

- Tu croyais vraiment que je ne reconnaîtrais pas ton assistante et le type sans bras?

Comment peut-on rayonner d’intelligence pendant tant de chapitres et se fourvoyer bêtement au moment crucial? Je suis stupéfait par la grossièreté de ma propre connerie.

Ils s’approchent tous les deux, encouragés par le rire grinçant de l'ex-pirate ; j’aurai sans doute droit à une mort atroce et douloureuse... mais au moins elle sera longue.

20 décembre 2010

Pas de médaille pour les héros

Cette tâche là, il ne faudrait surtout pas la confier à quelqu’un d’autre. Regardez plutôt faire le professionnel.

Je tiens le pigeon-tronc comme on doit tenir un ballon de football et (puisque tout le monde semble convaincu qu’il est brillant) je lui explique qu’une fois à destination, il devra nous indiquer si la voie est libre.

Sans plus de détails, je le balance de notre fenêtre au 27e et, avec un superbe mouvement de rotation, il franchi sans peine les 55 verges le menant à l’immeuble devant et disparaît dans la fenêtre brisée au 26e.

Nous patientons, inquiets…

...

-(rrrou)

Dans notre oreille, le faible roucoulement est presque triomphal. Zachary va bien ET la voie est libre!

Sans plus attendre, j’expédie le Tronc exactement de la même manière (plus vite que la poste et sans anicroche). Pour K’pa, on utilise une variante acceptable; les bras repliée sur elle-même, elle fend l’air avec la grâce de l’albatros et la précision d’une torpille à tête-chercheuse. Vient le cas du Père Knock out… (là, faut que j’y pense)… Faute de mieux, je le dépouille de son attirail anti-fantômes (il m’en voudra), je l’empoigne par le ceinturon et le capuchon, je le balance d’avant en arrière pour me donner de l’élan et (wiiiiiiii!!) je l’envoie à son tour. (Si l’envie vous prend de fredonner « Ah si mon moine pouvait voler», je ne vous retiens pas mais je passe.)

Voici mon heure venue et je devrai traverser sans aide. Ça pourrait se corser, mais heureusement pour tout le monde, j’ai déjà médité là-dessus. Autant vous prévenir, vous aurez de la difficulté à suivre. Je vais devoir défier (pour ne pas dire bafouer) au moins une loi élémentaire de la physique pour mon prochain tour. Master Mister, pour vous servir.

Je défonce entièrement le mur pour avoir plus d’espace et j’attrape le lit, montant, sommier, matelas et tout (ça va jusque là?). Je prends ensuite une profonde inspiration, j’entends presque le commentateur des jeux olympiques détailler mes prochaines actions d’une voix tendue. (Soyez attentif.)

Je m’approche du rebord… (vous suivez?)

Du haut du 27e étage, immobile, les orteils au bord du vide, je me concentre…
En contrebas, la foule retient son souffle…

Je lance le lit dans les airs et je bondis à sa suite... (préparez-vous)

Nous tombons dans le vide, lui plus rapidement que moi parce que plus lourd… (et)

D’un coup, J'ACCÉLÈRE MA CHUTE! (ÇA Y EST!) Je suis un météore tombant du ciel, si rapidement que le lit semble s’immobiliser entre les deux édifices…

J’exécute en toute impunité un quadruple-salto-périlleux-avant-arrière-carpé-groupé suivi d’une modeste boucle-piquée. Je rebondis sur le matelas, j’entre par la fenêtre et j’atterris bien droit, bras en l’air et tout souriant au milieu de mes convives qui (moins chanceux que vous) n’ont rien vu de la prouesse.

Les gens applaudissent à l’extérieur mais les infimes éclaboussures provoquées par le lit à l’arrivée me priveront d’une note parfaite. Pas le temps de s’émouvoir, je n’ai écrasé que des malfrats et je ne peux pas rester pour la remise des médailles.

Un coup d’œil à la pièce me suffit à constater que tout le monde n’a pas ma grâce. Outre la fenêtre défoncée, les vestiges de l’atterrissage brutal des frères Twins sont nombreux. Le chariot démembré et les débris de bouteilles se noient dans une marre de champagne, deux dents de titane appartenant à Titane (tient donc) grignotent le buffet (le meuble, pas le lunch) et le cigare du Grand Twins continue de fumer sans le consentement de son propriétaire ce qui, à long terme, n’est pas bon pour la santé (la nôtre surtout). En plus de leur calèche et de leurs ornements buccaux, les frères nous ont laissé de belles traces de sang se dirigeant vers le passage, la piste est facile à suivre. Nous suivons, donc. Bartolomeu reprend sa place sur mon épaule, les autres, bien que meurtris, vont sur leur propres pieds.

On traverse tout le couloir sans que la piste ne faiblisse. Elle mène à une porte dont l’écriteau « réservé aux employés » et l’empreinte de main en sang poisseux semblent nous interdire l’accès mais, vous me connaissez, j’ouvre.

J’ai un moment d’étonnement en découvrant, au bout de son sang, un garçon d’étage à demi-mort ; « Zut, on a été bernés! ». On est dans la cafétéria des employés. Le type est allongé sur une table, une trousse de premiers soins ouverte devant lui. Au niveau du ventre, il porte un pseudo bandage ; des pansements plus ou moins stériles, plus ou moins bien noués avec ses intestins. Un clown ivre essayant de fabriquer un chien avec des ballons n’aurait pas fait pire.

K’pa se précipite pour lui venir en aide.

- Que vous est-il arrivé mon brave? (vous aurez reconnu ma voix : mode réconfort)

- Ils sont deux (description sommaire mais, oui, ils sont deux)… très amochés, c’est horrible (c’est bien eux!)… ils m’ont ouvert le ventre (j’avais remarqué, veuillez poursuivre) avec une bouteille brisée (fort possible)… « pour que tu nous mènes vite et à la bonne place », ils ont dit… (il serre les dents et inspire douloureusement alors que K’pa termine son bandage règlementaire)… ils sont ici pas loin, ne me laissez pas avec eux!

On pensait que la tension était à son comble, mais il reste toujours de la place.
Je dépose le curé sur la table à côté de l’éclopé. Je regarde mon œuvre ; le portrait est gris-noir, une nature morte presque. J’ouvre les rideaux et j’ajoute le pigeon pour égailler l’ensemble.

- Vous veillerez l’un sur l’autre, dis-je sans exagérer l’enthousiasme.

Avant de me barrer, je m’assure que la porte se verrouille de l’intérieur et je demande au type quelques renseignements que je ne vous divulguerai pas, pour vous réserver la surprise.

Forts de ces informations secrètes, on se dirige à travers le building comme si on connaissait l’endroit et on arrive au point A : le vestiaire des employés. On fait ce que vous pensez qu’on est venu faire et on met le cap sur le point B : la sécurité.
Le garde est gros, moche, et il a perdu depuis longtemps la passion du métier, à supposer qu’il l’ait déjà eu. Pendant qu’on s’inquiète de la piètre qualité de nos déguisements, le garde regarde (come on Mister, un petit effort) avec ennui les trois femmes de chambre devant lui pour les inciter à déguerpir. Quelques secondes s’écoulent, plus molles que celles sur les montres de Dali. En désespoir de cause, le garde soupire et s’adresse à la seule des femmes de chambre ayant un peu le physique de l’emploi (deux bras, pas de poils au menton et pas de super-casque) :

- Quoi?

K’pa pourrait lui répondre que nous sommes en détresse, qu’un cigare fume sur la moquette au 26e, qu’un employé est grièvement blessé ou que deux fous furieux rôdent dans l’immeuble ; mais puisque rien de cela n’intéresserait le garde, elle opte pour un mensonge pieux mais crédible :

- Deux femmes de chambres baisent dans la cafétéria des employés, nous sommes jalouses, outragées et affamées.

Bing! Pile dans le mille. Sans même prendre le temps de répondre, le garde se (met en) branle aussi vite que lui permet son gros cul. On s’est débarrassé de lui tout en offrant une couverture supplémentaire à nos copains, chapeau K’pa!

Mais il ne s’agit là que d’un bénéfice marginal, nous sommes ici pour les écrans de surveillance. Je laisse le Tronc monter la garde pendant qu’on scanne les écrans. Avec mon œil de Boy et le doigté de K’pa, on zappe au moins aussi vite que vous devant une info-pub. Chambre vide – chambre vide – couple nu dans un ascenseur - hall d’entrée – couloir – cuisine – cafétéria des employés (nos potes vont bien) - parking – ascenseur vide – salle de bain pleine – etc., jusqu’à ce qu’on tombe sur ce qu’on cherche.

Les Twins sont au bar de l’hôtel. Titane se rince la dalle avec un Dom Pérignon en étudiant le fonctionnement de la trappe à fantôme. La barmaid a la tête enfoncée dans le tiroir de la caisse enregistreuse ; son corps flasque laisse suggérer qu’elle n’est pas en train de chercher de la monnaie. Œil Crevé a emprunté le téléphone et crie « des choses » à son interlocuteur (excusez le manque de précision, on a pas le son).

Je rassemble les troupes et on se précipite.

13 décembre 2010

Le retour des Troncs II (parce qu’on ne recule devant rien pour vous faire plaisir)

Durant le court trajet menant à l’ascenseur, le pigeon roucoule, piaille, croasse et pépie tout à la fois, bref, il fait tout un raffut.

- On a pas le temps, crie K’pa hors d’haleine.

J’aurais tendance à prendre son parti mais la petite bête se comporte trop bizarrement.

- Rrrrrou! fait Zachary en me fixant avec les petites billes orangées qui lui servent d’yeux.

- Quoi rrrou??!

Je regarde K’pa pour voir si elle comprend mieux que moi. Elle soupire, elle se prend le front en secouant la tête de gauche à droite, puis, elle tapote son poignet à l’endroit où elle devrait porter une montre. À moins que je ne me méprenne sur son langage corporel, elle n’a aucune idée de ce que le pigeon raconte.

- Rrrrrou!

Sous le regard réprobateur de mon assistante, je fixe le volatile. Je me concentre très fort sur ses pupilles… ça y est presque… je crois que... non! Rien à faire! Il a un regard con de pigeon comme n’importe quel con de pigeon.

- Il veut qu’on le suive, me dit K’pa comme si ça allait de soi.

- Rrrrou!

- Bon d’accord, dis-je au pigeon en le menaçant avec mon index, mais je te signale que les Twins savent où on se trouve et que la moitié de la ville nous ferait la peau gratuitement, pour peu qu’on se donne la peine de demander!

Notre guide nous entraîne alors vers la cage d’escaliers (ce n’est pas pour me plaindre mais je vous rappelle qu’on est au 30e et que j’ai un prêtre inconscient sur l’épaule). On descend trois étages et il s’arrête au palier. On ouvre une porte qui mène à un couloir identique à celui qu’on vient de quitter.

Le pigeon avance doucement dans le couloir et parce que j’ai peine à croire ce que je vois, je laisse K’pa vous le dire :

- Je crois qu’il lit les numéros de chambre. (Moi aussi. Je me demande si Einstein avait une théorie sur la réincarnation?)

Chambre 2709. Zachary s’annonce avec son bec, pic-pic-pic (toc-toc-toc, comme voulez).

- Rrrrou! Fait une voix que je reconnais de l’autre côté (vous aussi si vous avez lu le titre du chapitre).

- Rrrou, répond l’oiseau.

Bruit de chaînette enlevée avec les orteils. On ouvre. Les Troncs sont là!! Non, attendez!? Popol seulement… votre déception est grande? Imaginez la mienne! Faut pas croire tout ce qu’on lit.

- Mister, content de te voir!!! Me dit-il d’une voix de chien qui remue la queue. Culbuta?

Ma mine déconfite parle d’elle-même. Je veux quand même savoir comment le pigeon a pu nous amener ici? Question à laquelle Popol se propose de répondre :

- J’ai découvert l’hôtel grâce à la carte. C’était un scratch and sniff, ça sentait… (je fais signe qu’il peut abréger). À l’entrée, j’ai croisé Zack avec un mot pour toi sur la patte. Je me suis dit qu’on était mieux de vous attendre ici. J’ai trouvé une chambre libre et j’ai demandé à Zack de monter la garde à l’entrée du building et de me prévenir quand vous arriveriez…

Attendri, il regarde le pigeon picorer la moquette avant de reprendre : « Et vous? Qu’est-ce qui vous est arrivé? »

- Nous, rien. (Je lui raconterais, mais on est pressés, il devra lire un peu pour savoir ce qu’il a manqué.) Mais magne-toi, on pourrait attraper les frères Twins et retrouver ta femme!

Sur ce, j’ouvre la fenêtre et je regarde le bâtiment d’en face. On est presque vis-à-vis la fenêtre que les Twins ont défoncée. J’ai un plan, mais le boulevard est large… il faudra être très précis.

6 décembre 2010

Quand les Saints s’en mêlent

Le chauffeur de taxi est un escroc autonome, affilié ni aux frères Twins ni à Old Stinky. Je lui demande de tourner en rond dans le trafic le temps que K’pa et moi fassions un bilan de la situation. Il accepte avec plaisir de regarder monter le compteur. Je commence par l’essentiel, à savoir : qu’est-il advenu de mon «bras» droit?

- Où est Popol? je demande.

- Après avoir jeté un coup d’œil à la carte que tu m’as laissée, il l’a grattée avec son gros orteil comme un billet de loterie, il l’a sentie, il a sauté dans un pédalo qui traînait au bord du quai et s’est poussé sans rien dire. J’ai essayé de le retenir, mais rien à faire.

K’pa s’interrompt pour fouiller dans son sac. Une autre que celle-là, on entendrait un bruit de monnaie, de papier, de produits cosmétiques, elle ne trouverait pas et je m’énerverais… mais elle me tend déjà la carte. Le « X » presque effacé a révélé un plan de la ville, donnant tout son sens à l’expression « repère les pirates ». Je m’empresse de sentir et à un point très précis, ça sent la vieille merde (Old Stinky Poop pour être exact). Devinant ma question, K’pa reprend :

- Comment Popol a su pour le scratch and snif? Aucune idée… l’instinct j’imagine. Je ne savais pas trop quoi faire alors j’ai attaché un message expliquant tout ce qu’il y avait à savoir et une copie conforme de la carte à la patte de Zachary et j’ai demandé au père Bartolomeu de nous rejoindre là où ça pue.

J’émets un petit sifflement d’approbation, je donne la carte au chauffeur et lui demande de nous conduire nous aussi là où ça pue. Il connaît l’endroit (j’espère quand même qu’il ne me ramènera pas dans l’eau du port). On se fraie un chemin à coup de klaxon, freinages et accélérations subits, mots orduriers et autres aléas de la conduite citadine.

Ce qui frappe en arrivant au point désigné, c’est l’odeur. Là, vous me dites : «Comment ça, ça te frappe? Ça fait trois paragraphes que tu dis que ça pue!»… tut-tut-tut, on anticipait quelque chose et finalement ça sent autre chose : le brûlé (pour pas vous faire attendre). On paie le chauffeur et on descend.

Le building est un gratte-ciel début vingtième relativement petit, 50 étages, style « je me fonds bien dans le paysage new-yorkais » (ceux qui connaissent pas la Pomme, tant pis). Devant l’entrée, il y a des corbillards, des pompiers, des ambulanciers, des pirates cramés, pas de policiers et un climat de panique généralisée. Encore une fois dans cette drôle de ville (pas si drôle en fait, mais c’est comme ça qu’on dit), personne ne fait attention à nous.

Une explosion en provenance du 30e provoque un nouveau soubresaut de panique et vient encore bonifier notre anonymat. Sous une pluie de verre et de poussière de marbre, on se faufile incognito (sans recommencer notre vie à zéro pour autant) dans l’immeuble en enjambant le corps calciné d’un bagagiste.

À l’intérieur, un réceptionniste nous regarde approcher, très pâle derrière son bureau d’acajou. Au lieu de nous offrir son assistance, il implore la nôtre. À l’oeil, je vous dirais que la croix fumante au milieu de sa poitrine a été faite par un fer à marquer les bovins, mais je n’ai pas le temps de vérifier. Je me dirige vers l’ascenseur, le portier a subit le même sort mais n’est pas aussi tenace : il gît sans geindre devant la porte ouverte. On pénètre dans la cabine, je tape 3-0-close door en braille (seulement pour vous en mettre plein la vue) et j’attends qu’on arrive.

Au trentième étage, la porte de l’ascenseur donne sur un couloir. J’entends un cri et je vois passer une femme de chambre avec le feu au cul littéralement (on brûle, je le sens). Plutôt que de la suivre, on se précipite en direction des ennuis. Des panneaux nous indiquent qu’on se dirige vers la balroom (avec le chandelier, mais sans madame White puisqu’elle vient de partir).

La double porte de la salle de bal est en chêne bordée d’or, de flammes et de suie. Le feu n’est pas en train de ravager l’immeuble, entendons-nous, il le chatouille ça et là, sans plus.

On pousse la porte prudemment (de manière prude) pour apercevoir un homme en soutane (le père Bartolomeu, me dis-je sans grand effort) avec sur le dos une boîte métallique avec des fils électriques, des boutons et un genre de tuyau de balayeuse, lequel est relié au fusil laser qu’il tient dans sa main droite. S’il n’était pas tant occupé à tirer partout, le saint homme m’expliquerait qu’il s’agit d’un authentique casseur de fantôme 1984 autographié par Peter Venkman dit le pieu. Dans sa main gauche, il porte un bénitier qui semble lui servir d’avantage à éteindre les petits incendies qu’il allume qu’à exorciser des revenants.

Une partie de la pièce est tout bonnement détruite : trou béant avec vue pittoresque sur le boulevard et le 30e étage du building d’en face. Dans le coin de la pièce à peu près intact, les frères Twins sont barricadés derrière un bar noirci par les décharges de laser et regardent stupéfaits le fantôme d’Old Stinky Poop, coincé dans un champ magnétique à proximité.

- Bonjour Mister, me dit le prêtre en envoyant une rafale aux Twins qui se remettent aussitôt à couvert. Navré que nous dussions faire connaissance dans des circonstances aussi peu conviviales, vous me trouvez tout de même ravi.

- De même, lui réponds-je. Je vois que vous avez la situation en mains.

- Pas autant que je ne le souhaiterais. Ces deux là sont vraiment coriaces (il me pointe le bar avec son engin et envoie un petit coup aux Twins dont les têtes commençait à poindre) et cet idiot ignore où est Culbuta (deuxième petit coup qui fait hurler le pirate).

- Ça va tenir longtemps, dis-je en mimant adroitement un champ magnétique (pas facile, vous essaierez).

- Aussi longtemps que nécessaire. Je vous réservais le spectre pour les questions avant de le mettre en boîte.

J’adresse au Pirate la sempiternelle question : « Où est Culbuta? ».

- Je l’ignore! Elle était ici, mais elle a disparu, elle s’est enfuie. Ne me faite plus mal! (Il a perdu l’habitude d’avoir mal, ça s’entend.)

- Dans la boîte alors!

Le serviteur de Dieu m’obéit comme à son maître (j’apprécie). Il a déjà balancé sa trappe à fantôme et appuyé une nouvelle fois sur la gâchette. Old Stinky tourbillonne en criant « Nooooooon » et disparaît dans la trappe. Maintenant, trop tard pour changer d’idée (par chance, ce n’est pas mon genre).

- Qu’est-ce qu’on fait des autres? demande K’pa, toujours pragmatique.

- Ils s’avèrent être particulièrement agressifs, nous explique Bartolomeu. Ils sont là depuis 3 minutes à peine et ils ont fait explosé le mur, ils ont mis feu à une femme de chambre et je crois qu’ils tiennent Zachary en otage. Dieu nous vienne en aide.

- Et les types de l'entrée avec une croix de feu sur la poitrine? M'enquis-je en ayant déjà une idée de la réponse.

- Le Seigneur rappelait à lui ces brebis égarées... dans le seul but de leur épargner le méchoui éternel. Peut-être ai-je put occire une demi-douzaine d'impies dans le hall, mais le mal est moindre, je vous assure.

Sans prévenir (n’espérez jamais un télégramme chanté avant un mauvais coup) et sans égard pour notre bref conciliabule, les frères Twins nous interrompent en hurlant.

- YYYAAAAAAAH! Ce faisant, ils nous balancent le bar qui leur servait de paratonnerre à une hauteur fort appréciable et une vélocité meilleure encore.

K’pa et moi esquivons avec toute la souplesse impartie à la jeunesse mais le prêtre (après avoir vérifié l’état de ses rhumatismes) se le prend en pleine figure.

Je relève la tête, Œil Crevé s’empare de la boîte à fantôme et saute sur un chariot de bouteilles de champagne poussé à toute allure par Titane et, comme dans un film d’action (je le jure!), ils foncent vers le trou dans le mur.

À un mètre du bord, Titane saute à bord avec son frère. L’élan du chariot est amplement suffisant pour atteindre le building d’en face aux environs du 26e étage et ils ont plus ou moins 78,2% de chance d’arriver vis-à-vis une fenêtre… (roulement de tambour) et c’est… réussi (crotte)! En frappant la vitre de l'autre côté, Œil Crevé comprend pourquoi son cadet insistait pour pousser leur véhicule.

J’aide K’pa à se relever et on se précipite sur Barto (les épreuves qu’on vient de franchir me permettent un nouveau degré de familiarité).

- Barto, ça va?

- Père Bartolomeu che vous prie, me reprend le vieil édenté (je l’aime à peine moins; à part moi, personne n’est parfait). Non cha ne va pas. Donnez-moi ma gourde mon brafe… et schtroumfez mon picheon.

Il a deux gourdes à son ceinturon, eau bénite et eau-de-vie. Je lui tends la deuxième. Il s’expédie une belle rasade (Shé de son prénom) et nous abandonne pour mille et une nuits.

- Pauvre vieux, murmure K’pa.

- Rrrou, roucoule le pigeon-tronc juste à côté, sorti d’on ne sait où (ça nous fait au moins ça de moins sur les bras).

Le curé sourit, béat. Je le prends sur mon épaule et j’annonce :

- Il va s’en tirer, suivez-moi!

Mes désirs sont des ordres (et l’inverse également), K’pa et Zachary me suivent sans rechigner vers le couloir menant à l’ascenseur. Une question demeure encore et toujours: où est Culbuta?

- Rrrrrooou!