11 octobre 2010

Le Curé d'Oncle-sur-Mère

Éveillé tôt, d’humeur joviale, je convoque mes assistantes pour un déjeuner au balcon. J’en profite pour prendre des nouvelles de leur enquête téléphonique. Elles me regardent, mines déconfites, tous les numéros sont hors service et, mauvaise nouvelle, des noms de criminels notoires figurent au bottin, dont les pires parmi les pires : les frères Twins!

La seule réputation de ces deux-là suffit à donner froid dans le dos. Ils sont de ces méchants qui effraient même leurs semblables. S’il existait une machine à extraire le mal d’une personne pour en obtenir un concentré, ils y broieraient les restes d’Hitler, Jack l’éventreur et autres sommités, trinqueraient avec le jus et lécheraient le fond du verre pour ne pas perdre une goûte… du coup, me voilà moins guilleret.

Heureusement, le retour au bercail du Tronc et du pigeon nous ramène le sourire. Nos éclaireurs ont chacun une lettre attachée à la patte et si le volatile s’accommode aisément de la chose, le déjà burlesque Popol est hilarant dans sa détresse et son irritation.

Parce que le ridicule ne tue pas et qu’on doit se remonter le moral, je commence par délester l’oiseau et je laisse les filles rire encore un peu de notre compère. La lettre m’est adressée, elle est écrite dans un style ampoulé avec une calligraphie prétentieuse, me mettant d’emblée dans de bonnes dispositions vis-à-vis l’auteur:

« Cher Monsieur Mister Boy,
J’étais hier en prière quand Zachary, mon pigeon voyageur, revint en ma demeure. J’étais heureux de le retrouver mais il était bien mal en point le pauvre. Les plumes roussies et ailes tranchées, bandées par des amateurs.

Dans ma joie de le retrouver, je n’avais pas vu l’homme qui le suivait furtivement. Je fus pris de panique en l’apercevant, encore ébranlé par les récents événements et par la vue de mon pigeon éclopé. Je sortis donc prestement de sous ma soutane la précieuse carabine de Saint-Arnold-de-Schwartzy et lui criai d’une voix que j’espérai intimidante :

- Stop ! Les mains en l’air !

- Restez calme, je n’ai pas de bras, me répondit l’homme qui s’avançait en me dévisageant.

Il enchaîna derechef : « Monsieur le curé, c’est vous?! C’est Mister Boy qui m’envoie. On savait pas de qui venait le pigeon.».

C’est alors que je reconnu le type. Je ne l’avais vu qu’une fois et pas longtemps, lors des préparatifs de son mariage. C’était Paul Tronc, l’homme que j’aurais dû marier à Culbuta, une bonne fille de chez nous.

- Désolé Paul, dis-je en baissant mon arme. C’est qu’il y a eu du vilain ces derniers jours.

Nous prîmes quelques temps pour nous faire le compte rendu de nos épreuves.
Il m’expliqua les circonstances dans lesquelles il avait reçu le message de mon pigeon, me raconta le mariage interrompu et l’hécatombe que vous savez. Je remercie Dieu qui dans son infini bonté, m’a donné la chance d’intervenir.

De mon côté, je lui narrai habilement et avec moult détails comment on avait profité de mon sommeil pour voler ma soutane de cérémonie et comment je m’étais réveillé, ligoté alors qu’un homme déguisé en moi quittait la maison pour se rendre au mariage.

Je lui dis ensuite comment je m’étais débarrassé de mes liens et, hélas, du type qui montait la garde à mon chevet avec mon volumineux couteau de Saint-Sylvestre-de-Rambeau. Je complétai le puzzle avec le départ de Zachary le pigeon voyageur et mon message concernant le faux prêtre.

Écoutant le récit de ma pieuse intervention, Paul m’offrit de me joindre à vos croisades. Je déclinai poliment l’offre, lui expliquant qu’un modeste curé n’a pas sa place dans des histoires d’une violence inouïe et que le recours à celle-ci se fait bien à contre coeur dans des moments extrêmes et bien choisis et que ce n’est pas par goût mais par obligation que je garde quelques reliques des guerres d’antan parce que la jeunesse d’aujourd’hui a de moins bonnes moeurs que celle de mon époque, sauf à Oncle-sur-Mère évidemment. Après quoi, non sans quelques répugnances mais parce qu’il fallait rester poli, je lui expliquai le fonctionnement de quelques-unes des dites reliques dont le Golden-Gun de St-James et le Fouet de la Madonna.

Il semblait comprendre que je choisisse de me consacrer à une paisible vie monacale. J’ajoutai tout de même qu’il pouvait me contacter en cas d’absolue nécessité car la vie des fidèles passe avant ma propre tranquillité.

Nous terminâmes de nous raconter nos histoires tard en soirée. J’offris à Paul la chambre d’invité et nous prîmes congé l’un de l’autre pour la nuit.

J’espère que cette missive vous aura éclairé sur l’arrivée de Zachary au mariage. Ce qui fut dit à Paul est également valable pour vous et dussiez-vous avoir besoin de mes humbles capacités, faites-le moi savoir par le biais de ce pigeon que je confie à vos bons soins.

Bien à vous,
Père Bartolomeu. »

Le Tronc se dandine le temps que j’achève ma lecture, je dois mettre fin à son humiliation. La seconde lettre est beaucoup plus brève et adressée à Culbuta dans le patois local, je la lui tends et elle nous lit à voix haute :

- Culbuta, je vous déclare Paul et toi, mari et femme. Fais honneur à Oncle-sur-mère! Tiens-toi toujours en formes resplendissantes, cul dehors et seins devant. Amen. Barto.

Je l’entends dire ça et j’ai un mauvais feeling pour la suite des choses. En général, je ne me trompe pas (allez savoir pourquoi).

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