19 août 2010

Que les ennuis commencent!

"Charch’tu quekun mon beau"
Ses allers-retours au pied de l’hôtel, sa robe rouge pompier et son franc parler m’avais mis la pute à l’oreille. C’était probablement la personne dont j’avais besoin.

« Oui, mais pas pour moi » répondis-je en tirant sur la corde de cuir que j’avais tenue très discrètement jusqu'alors, ne voulant pas éveiller ses soupçons. Imaginez alors le visage d’une jeune travailleuse du sexe presque vierge apercevant à l’extrémité d’une laisse, un superbe homme-tronc greffé de jambes et d'une muselière.

Après une longue série d’entrevues peu fructueuses, j’en étais presque venu à l’idée de faire cavalier seul quand je tombai sur Paul, ce manchot avaleur de sabres fort qualifié qui, du reste, parlait très peu et semblait disposer d’une intelligence assez limitée. L’épellation laborieuse de son nom de quatre lettres vint toucher une fibre mystérieuse et jusqu’alors inaltérable de mon être; et plutôt que de le foutre à la porte, je me pris d’emblée d’affection pour ce type, comme on s’attache à un animal qui réussi quelques bons tours.

Je compris cependant assez rapidement que je devais le tenir muselé et en laisse car le pauvre bougre avait la langue baladeuse (à défaut d’avoir des mains) et démontrait une lubricité extrême. C’est en désespoir de cause que je l’emmenais chez une professionnelle espérant le calmer une fois pour toutes ou m’en débarrasser à peu de frais.

Voilà donc mon énergumène en présence de cette jeune créature effarouchée, elle qui espérait avoir une nuit de rêve toutes dépenses payées avec Mister moi-même.

- Mademoiselle, je vous payerai quintuple salaire pour coucher avec mon ami.

- Quessé qui m’prouve quié pas danjereux ? Enlève-z-y ça (en parlant du masque à la « silence des agneaux »), si y mord pas, j’le prends.

Courageuse la brave fille, l’offre est honnête, j’essaie. Je démuselle mon sbire, espérant qu’il vendra sa salade du mieux possible ou que sa beauté incongrue aura le dessus sur sa jactance. Il renifle, il écume, il salive et se lance dans une envolée verbale insoupçonnée :
- Quand j’avais des bras, j’étais contrebassiste dans un orchestre et l’une de mes cousines nous jouais souvent de la pipe à coulisses durant les entractes. Vous me la rappelez, en mieux.

Ouf, pas mauvais le Tronc-Juan. Le pacte est conclu, Culbuta (c’est son nom) nous escorte (c’est son travail) vers l’hôtel ci-contre, je les attendrai patiemment à la porte de la chambre et dans une demi-heure, je saurai si la baise aura eu raison de la perversité de Macho-manchot-man.

Je les entends de l’autre côté et ils semblent bien s’en tirer.

- Quesse-tu fais dans vie ? De lui demander la miss pour le mettre à l’aise.

- Avaleur de sabre.

- Ça tombe ben, moé ’si. Gloup ! (Ça parle mal, mais c’est pas con.)

- AAAAhhhh ! Mugit mon tronqué.

- VROOUUUUM ! De dire je ne sais qui d’une voix très métallique.

- AAAAhhhh ! Répondent les deux autres à l’unisson.

AAAAhhh à l’unisson, j’aurais trouvé ça beau, mais après VROOUUUUM, ça cloche ! Je me précipite sur la porte dont la serrure cède sous mon pied comme une femme sous mon (allez, pas le temps de divaguer) charme.

Une scène pittoresque s’offre à moi à travers les restants de porte. Ils sont flambant nus, saisis et à tout jamais sosies la pute et mon gaillard. La pauvre a les bras tranchés ! Elle crie et pleure au dessus du bruit grinçant (dans son job, c’est très mauvais d’être amputée). Face à eux, un méchant gars énorme avec au bout des pattes, la scie mécanique (Ah, s’était ça le bruit!) lui ayant permit de se frayer un chemin à travers le mur et de transformer Culbuta en Vénus. L’engin tonitruant, peu rassasié par quelques copeaux et une paire de bras, en réclame davantage. Dans les mauvais films d’horreur, ça fait rire; mais en réalité, sans la musique et avec du vrai sang, c’est assez convainquant je dois l’admettre. Je fonce.

Paul évite de devenir cul-de-jatte à nouveau (ça serait le comble) en sautant par-dessus la scie. Elle fauche le sol mais, ayant raté les pieds, elle charge l’entre jambe. Le tronçon de l’homme-tronc s’en tire de justesse en se faisant aussi minuscule que possible tel un lapin terrorisé au fond de son terrier ; on ne le reverra pas de sitôt. Frustrée, la scie se relève et tente sa chance contre la fille. Pas-Poltron s’interpose la gueule béante. FLAFLAFLAFLA ! Je ne sais pas si l’avaleur de sabre tiendra le coup avec une scie rotative dans le gosier. Il ne s’était pas rendu si loin dans les prouesses à l’entrevue. J’accélère.

Au lieu de s’évanouir docilement comme le ferait une fille de bonne famille, la nouvelle femme-quasi-tronc se fait une vengeance avec les pieds. Mister : vitesse de croisière, un peu plus peut être.

Le salopard ne m’a pas encore vu, il extirpe sa scie de mon piteux compère et se retourne vers la dame.

Vitesse maximale, mon poing chauffe comme une navette spatiale à son entrée dans l’atmosphère et s’abat sur la figure de l’autre. Mille briques par phalanges, sa tronche ne tient pas le coup. Ça craque, ça éclate, j’ose pas regarder, j’aurais fait plus propre avec la scie… il s’effondre.

Les manchots se regardent tendrement et se font une sorte d’étreinte sans bras avant de choir sur le lit comme après l’amour, inconscients.
J’appelle une ambulance. Je fouille celui qui, peut-être, fut l’amant de la brave putite. À part les objets d’usage (clés, porte-foin, peigne en os), il a sur lui un carnet assez volumineux rempli de numéros de téléphones. 500 j’estime, tous des potes à lui ?

Un gars qui est prêt à massacre-à-la-tronçoneuser une jolie fille alors qu’elle fait correctement son métier, ses amis ne doivent pas être très rigolards.

Dans mon for intérieur, ça crie; c’est probablement ici que les ennuis commencent!

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