15 novembre 2010

Repère les pirates

Après la pléthore d’anachronismes servie par Old Stinky Poop, la carte marquée d’une croix m’avait laissé imaginer une île déserte et désuète ; quelques palmiers, deux dunes et un rocher en forme de tête de mort plantés au milieu d’un océan azuré, gardés par un banc de requins…

Je suis pour le moins étonné. À mesure que j’approche de l’île, des gratte-ciels se profilent à l’horizon, ça grouille de bateaux et de monde et, cadeau des industries bordant la plage, l’eau passe de saline à saumâtre, à poisseuse pour finir visqueuse, ni plus ni moins.

J’arrive du côté des docks. Une haute paroi en ciment me force à continuer de nager. Tout près de moi, dans la flotte nauséabonde et déjà saturée, une bouche d’égout déverse un flot d’immondices. Parmi d’autres, je vois tomber des bouts de bois, des seringues, un rat, une vieille mitraillette, des poissons crevés et une chose tellement inattendue et dégueulasse que je vous l’offre en devinette. Mon premier est incomplet, mon second est exquis, mon troisième a déjà concocté des plats savoureux mais mon tout donne la nausée. Qui suis-je? Un demi cadavre de cuisinier.

Surmontant mon dégoût, je patauge discrètement dans la soupe brunâtre essayant de jauger les activités de l’endroit. Dans un décor gris béton, des dockers s’affairent entre des grues et des containers rouillés. Ils transigent de la marchandise anonyme dans toutes les directions : bateaux, camions, entrepôts et océan. Au-dessus de ma tête, quelqu'un balance une caisse de bois. Je me protège comme je peux des éclaboussures tâchant à tout prix de garder la tête à la surface (je n’ai surtout pas envie de savoir si ça goûte ce que ça sent). Ce faisant (plouf!), je rate l’arrivée d’un deuxième objet derrière moi et me voilà aspergé. Je me retourne pour découvrir une carcasse blafarde qui, inutile de vous le préciser, n’est pas une poupée gonflable mais bien un second cadavre. J’ai une pensée pour Culbuta et (coïncidence) un frisson me chatouille l’échine avec un rabot. Inutile de m’attarder, je dois sortir d’ici.

Je continue de nager le long de la paroi de ciment jusqu’à ce que je croise (alléluia!) une échelle de fer rouillée destinée aux petites embarcations. Mettant pied à terre, je m’offre un tour de reconnaissance. Malgré ma baignade dans l’eau plus que douteuse, personne ne semble faire attention à moi. L’endroit est vaste et bondé ; il me sera plus ardu que je croyais de « repérer les pirates ». En contrepartie, je pourrai aisément trouver une cachette et attendre les renforts sans attirer l’attention : ce que je.

Le temps passe et la nuit tombe, dissipant les bandits… ceux qui restent passé le couvre-feu doivent être terriblement redoutables.

Je profite de l’obscurité pour dénicher une toilette pour faire la mienne. J’essaie le robinet, pas de chance, il a rejoint depuis longtemps le paradis de la quincaillerie. Je me retourne, la cuvette est à ce point crasseuse que la majorité d’entre vous rechignerait à l’utiliser pour les basses besognes… j’hésite (ça arrive même aux meilleurs) à m’y laver le visage. En quête d’une alternative, je soulève le couvercle du réservoir ; l’eau qui si trouve n’est certainement pas potable, ni même propre mais avec ce que j’ai vu aujourd’hui, elle se mérite au moins le qualificatif de convenable (un petit verre d’eau convenable quelqu’un). Je me décrotte avec une joie indicible et (l’odeur aidant) j’ai presque les larmes aux yeux. Satisfait, je regagne discrètement ma planque pour la nuit.

Averti par mon dixième sens (que voulez vous de plus), je m’éveille vers (coup d’œil à la position des étoiles) 5h02… il va se passer quelque chose. J’attends quelques secondes et voilà que se fait entendre le léger ronron d’un moteur nautique.

Je me faufile hors de ma cachette pour aller me poster près de l’échelle de fer donnant accès à l’eau. K’pa s’amène au volant du yacht que je lui ai confié. Elle m’envoie la main. À mon grand désarroi, elle est seule, sans Tronc ni pigeon. J’imagine (et vous aussi) qu’on comprendra plus tard.

Alors qu’elle arrive à portée de l’échelle, je repère dans son sillage trois périscopes menaçants comme des ailerons de requins. « Attention! », je lui crie. Mais trop tard, trois sous-marins noirs avec des canons sur les flancs s’extirpent de l’eau d’égout (d’égout quoi?) dégoûtante, libérant des profondeurs une odeur pire encore que celle régnant en surface.

J’attrape le premier caillou à portée de main pour couler le premier sous-marin à portée de tir en chantant (sur un air assez approximatif) « get back, na-nan, get back, pa-pan, get back ta-ta-ta once belong ». La carcasse de ferraille éventrée nous offre un naufrage style Titanic ; probablement repoussée par les effluves putrides, elle s’y reprend à deux fois avant de sombrer définitivement. Les occupants n’ayant pas sauté par-dessus bord s’agrippent fermement pour ne pas entrer en contact avec l’eau mais en définitive, ils sont engloutis comme le reste.

Sur les deux autres sous-marins, des pirates, grappins en main, attendent le signal comme des chiens dressés avec une croquette sur le museau.

- À l’abordage! , aboie l’un d’eux.

- AAAAAhh! , glapissent les autres en se ruant sur le yacht au son des canons.

- Meeeuh, meugle K’pa. En se prenant un boulet dans le ventre.

- La vache, me dis-je.

Je neutralise les premiers se ruant sur K’pa avec des tirs de cailloux précis mais je me retrouve rapidement à court de munition. Rapide coup d’œil en quête d’un autre projectile… ÇA fera l’affaire. ÇA est un container bleu de 10 mètres par 4 plutôt lourd qui s’abat dans un fracas infernal sur le second sous-marin qui entonne (pour ainsi dire) son chant du signe. Ne reste que le dernier.

Comptant utiliser la même technique pour en venir à bout, je prends un nouveau container mais un grincement alarmant me fait tourner la tête. Une grue s’est mise en marche et balance vers moi une boule de pétanque puissance mille. Je lui lance ma boîte de fer. Je rate la boule qui me frappe sur la tempe mais j’attrape la grue. On pourrait considérer cela comme un match nul mais par mouvement de balancier, la boule revient me frapper l’autre tempe. Grue 2 - Mister 1. Je suis totalement sonné, même avec mon casque. Je tente un pas à l’aveuglette. Erreur cacastrophique! En tombant dans le vide, je compte les barreaux de l’échelle de fer avant d’atterrir tête première sur le devant du yacht : 52. Je me sens défaillir, deux fois dans le même roman, ça devient une habitude!

Si je retombe dans le coma, rendez-vous au chapitre 6.
Si je m’évanouis et que l’on me fait prisonnier, rendez-vous au chapitre 17.
Si (tout comme moi) vous préférez les livres dont JE suis le héros aux livres dont VOUS êtes le héros, cessez de vous plaindre et passez votre chemin.

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