20 décembre 2010

Pas de médaille pour les héros

Cette tâche là, il ne faudrait surtout pas la confier à quelqu’un d’autre. Regardez plutôt faire le professionnel.

Je tiens le pigeon-tronc comme on doit tenir un ballon de football et (puisque tout le monde semble convaincu qu’il est brillant) je lui explique qu’une fois à destination, il devra nous indiquer si la voie est libre.

Sans plus de détails, je le balance de notre fenêtre au 27e et, avec un superbe mouvement de rotation, il franchi sans peine les 55 verges le menant à l’immeuble devant et disparaît dans la fenêtre brisée au 26e.

Nous patientons, inquiets…

...

-(rrrou)

Dans notre oreille, le faible roucoulement est presque triomphal. Zachary va bien ET la voie est libre!

Sans plus attendre, j’expédie le Tronc exactement de la même manière (plus vite que la poste et sans anicroche). Pour K’pa, on utilise une variante acceptable; les bras repliée sur elle-même, elle fend l’air avec la grâce de l’albatros et la précision d’une torpille à tête-chercheuse. Vient le cas du Père Knock out… (là, faut que j’y pense)… Faute de mieux, je le dépouille de son attirail anti-fantômes (il m’en voudra), je l’empoigne par le ceinturon et le capuchon, je le balance d’avant en arrière pour me donner de l’élan et (wiiiiiiii!!) je l’envoie à son tour. (Si l’envie vous prend de fredonner « Ah si mon moine pouvait voler», je ne vous retiens pas mais je passe.)

Voici mon heure venue et je devrai traverser sans aide. Ça pourrait se corser, mais heureusement pour tout le monde, j’ai déjà médité là-dessus. Autant vous prévenir, vous aurez de la difficulté à suivre. Je vais devoir défier (pour ne pas dire bafouer) au moins une loi élémentaire de la physique pour mon prochain tour. Master Mister, pour vous servir.

Je défonce entièrement le mur pour avoir plus d’espace et j’attrape le lit, montant, sommier, matelas et tout (ça va jusque là?). Je prends ensuite une profonde inspiration, j’entends presque le commentateur des jeux olympiques détailler mes prochaines actions d’une voix tendue. (Soyez attentif.)

Je m’approche du rebord… (vous suivez?)

Du haut du 27e étage, immobile, les orteils au bord du vide, je me concentre…
En contrebas, la foule retient son souffle…

Je lance le lit dans les airs et je bondis à sa suite... (préparez-vous)

Nous tombons dans le vide, lui plus rapidement que moi parce que plus lourd… (et)

D’un coup, J'ACCÉLÈRE MA CHUTE! (ÇA Y EST!) Je suis un météore tombant du ciel, si rapidement que le lit semble s’immobiliser entre les deux édifices…

J’exécute en toute impunité un quadruple-salto-périlleux-avant-arrière-carpé-groupé suivi d’une modeste boucle-piquée. Je rebondis sur le matelas, j’entre par la fenêtre et j’atterris bien droit, bras en l’air et tout souriant au milieu de mes convives qui (moins chanceux que vous) n’ont rien vu de la prouesse.

Les gens applaudissent à l’extérieur mais les infimes éclaboussures provoquées par le lit à l’arrivée me priveront d’une note parfaite. Pas le temps de s’émouvoir, je n’ai écrasé que des malfrats et je ne peux pas rester pour la remise des médailles.

Un coup d’œil à la pièce me suffit à constater que tout le monde n’a pas ma grâce. Outre la fenêtre défoncée, les vestiges de l’atterrissage brutal des frères Twins sont nombreux. Le chariot démembré et les débris de bouteilles se noient dans une marre de champagne, deux dents de titane appartenant à Titane (tient donc) grignotent le buffet (le meuble, pas le lunch) et le cigare du Grand Twins continue de fumer sans le consentement de son propriétaire ce qui, à long terme, n’est pas bon pour la santé (la nôtre surtout). En plus de leur calèche et de leurs ornements buccaux, les frères nous ont laissé de belles traces de sang se dirigeant vers le passage, la piste est facile à suivre. Nous suivons, donc. Bartolomeu reprend sa place sur mon épaule, les autres, bien que meurtris, vont sur leur propres pieds.

On traverse tout le couloir sans que la piste ne faiblisse. Elle mène à une porte dont l’écriteau « réservé aux employés » et l’empreinte de main en sang poisseux semblent nous interdire l’accès mais, vous me connaissez, j’ouvre.

J’ai un moment d’étonnement en découvrant, au bout de son sang, un garçon d’étage à demi-mort ; « Zut, on a été bernés! ». On est dans la cafétéria des employés. Le type est allongé sur une table, une trousse de premiers soins ouverte devant lui. Au niveau du ventre, il porte un pseudo bandage ; des pansements plus ou moins stériles, plus ou moins bien noués avec ses intestins. Un clown ivre essayant de fabriquer un chien avec des ballons n’aurait pas fait pire.

K’pa se précipite pour lui venir en aide.

- Que vous est-il arrivé mon brave? (vous aurez reconnu ma voix : mode réconfort)

- Ils sont deux (description sommaire mais, oui, ils sont deux)… très amochés, c’est horrible (c’est bien eux!)… ils m’ont ouvert le ventre (j’avais remarqué, veuillez poursuivre) avec une bouteille brisée (fort possible)… « pour que tu nous mènes vite et à la bonne place », ils ont dit… (il serre les dents et inspire douloureusement alors que K’pa termine son bandage règlementaire)… ils sont ici pas loin, ne me laissez pas avec eux!

On pensait que la tension était à son comble, mais il reste toujours de la place.
Je dépose le curé sur la table à côté de l’éclopé. Je regarde mon œuvre ; le portrait est gris-noir, une nature morte presque. J’ouvre les rideaux et j’ajoute le pigeon pour égailler l’ensemble.

- Vous veillerez l’un sur l’autre, dis-je sans exagérer l’enthousiasme.

Avant de me barrer, je m’assure que la porte se verrouille de l’intérieur et je demande au type quelques renseignements que je ne vous divulguerai pas, pour vous réserver la surprise.

Forts de ces informations secrètes, on se dirige à travers le building comme si on connaissait l’endroit et on arrive au point A : le vestiaire des employés. On fait ce que vous pensez qu’on est venu faire et on met le cap sur le point B : la sécurité.
Le garde est gros, moche, et il a perdu depuis longtemps la passion du métier, à supposer qu’il l’ait déjà eu. Pendant qu’on s’inquiète de la piètre qualité de nos déguisements, le garde regarde (come on Mister, un petit effort) avec ennui les trois femmes de chambre devant lui pour les inciter à déguerpir. Quelques secondes s’écoulent, plus molles que celles sur les montres de Dali. En désespoir de cause, le garde soupire et s’adresse à la seule des femmes de chambre ayant un peu le physique de l’emploi (deux bras, pas de poils au menton et pas de super-casque) :

- Quoi?

K’pa pourrait lui répondre que nous sommes en détresse, qu’un cigare fume sur la moquette au 26e, qu’un employé est grièvement blessé ou que deux fous furieux rôdent dans l’immeuble ; mais puisque rien de cela n’intéresserait le garde, elle opte pour un mensonge pieux mais crédible :

- Deux femmes de chambres baisent dans la cafétéria des employés, nous sommes jalouses, outragées et affamées.

Bing! Pile dans le mille. Sans même prendre le temps de répondre, le garde se (met en) branle aussi vite que lui permet son gros cul. On s’est débarrassé de lui tout en offrant une couverture supplémentaire à nos copains, chapeau K’pa!

Mais il ne s’agit là que d’un bénéfice marginal, nous sommes ici pour les écrans de surveillance. Je laisse le Tronc monter la garde pendant qu’on scanne les écrans. Avec mon œil de Boy et le doigté de K’pa, on zappe au moins aussi vite que vous devant une info-pub. Chambre vide – chambre vide – couple nu dans un ascenseur - hall d’entrée – couloir – cuisine – cafétéria des employés (nos potes vont bien) - parking – ascenseur vide – salle de bain pleine – etc., jusqu’à ce qu’on tombe sur ce qu’on cherche.

Les Twins sont au bar de l’hôtel. Titane se rince la dalle avec un Dom Pérignon en étudiant le fonctionnement de la trappe à fantôme. La barmaid a la tête enfoncée dans le tiroir de la caisse enregistreuse ; son corps flasque laisse suggérer qu’elle n’est pas en train de chercher de la monnaie. Œil Crevé a emprunté le téléphone et crie « des choses » à son interlocuteur (excusez le manque de précision, on a pas le son).

Je rassemble les troupes et on se précipite.

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