6 décembre 2010

Quand les Saints s’en mêlent

Le chauffeur de taxi est un escroc autonome, affilié ni aux frères Twins ni à Old Stinky. Je lui demande de tourner en rond dans le trafic le temps que K’pa et moi fassions un bilan de la situation. Il accepte avec plaisir de regarder monter le compteur. Je commence par l’essentiel, à savoir : qu’est-il advenu de mon «bras» droit?

- Où est Popol? je demande.

- Après avoir jeté un coup d’œil à la carte que tu m’as laissée, il l’a grattée avec son gros orteil comme un billet de loterie, il l’a sentie, il a sauté dans un pédalo qui traînait au bord du quai et s’est poussé sans rien dire. J’ai essayé de le retenir, mais rien à faire.

K’pa s’interrompt pour fouiller dans son sac. Une autre que celle-là, on entendrait un bruit de monnaie, de papier, de produits cosmétiques, elle ne trouverait pas et je m’énerverais… mais elle me tend déjà la carte. Le « X » presque effacé a révélé un plan de la ville, donnant tout son sens à l’expression « repère les pirates ». Je m’empresse de sentir et à un point très précis, ça sent la vieille merde (Old Stinky Poop pour être exact). Devinant ma question, K’pa reprend :

- Comment Popol a su pour le scratch and snif? Aucune idée… l’instinct j’imagine. Je ne savais pas trop quoi faire alors j’ai attaché un message expliquant tout ce qu’il y avait à savoir et une copie conforme de la carte à la patte de Zachary et j’ai demandé au père Bartolomeu de nous rejoindre là où ça pue.

J’émets un petit sifflement d’approbation, je donne la carte au chauffeur et lui demande de nous conduire nous aussi là où ça pue. Il connaît l’endroit (j’espère quand même qu’il ne me ramènera pas dans l’eau du port). On se fraie un chemin à coup de klaxon, freinages et accélérations subits, mots orduriers et autres aléas de la conduite citadine.

Ce qui frappe en arrivant au point désigné, c’est l’odeur. Là, vous me dites : «Comment ça, ça te frappe? Ça fait trois paragraphes que tu dis que ça pue!»… tut-tut-tut, on anticipait quelque chose et finalement ça sent autre chose : le brûlé (pour pas vous faire attendre). On paie le chauffeur et on descend.

Le building est un gratte-ciel début vingtième relativement petit, 50 étages, style « je me fonds bien dans le paysage new-yorkais » (ceux qui connaissent pas la Pomme, tant pis). Devant l’entrée, il y a des corbillards, des pompiers, des ambulanciers, des pirates cramés, pas de policiers et un climat de panique généralisée. Encore une fois dans cette drôle de ville (pas si drôle en fait, mais c’est comme ça qu’on dit), personne ne fait attention à nous.

Une explosion en provenance du 30e provoque un nouveau soubresaut de panique et vient encore bonifier notre anonymat. Sous une pluie de verre et de poussière de marbre, on se faufile incognito (sans recommencer notre vie à zéro pour autant) dans l’immeuble en enjambant le corps calciné d’un bagagiste.

À l’intérieur, un réceptionniste nous regarde approcher, très pâle derrière son bureau d’acajou. Au lieu de nous offrir son assistance, il implore la nôtre. À l’oeil, je vous dirais que la croix fumante au milieu de sa poitrine a été faite par un fer à marquer les bovins, mais je n’ai pas le temps de vérifier. Je me dirige vers l’ascenseur, le portier a subit le même sort mais n’est pas aussi tenace : il gît sans geindre devant la porte ouverte. On pénètre dans la cabine, je tape 3-0-close door en braille (seulement pour vous en mettre plein la vue) et j’attends qu’on arrive.

Au trentième étage, la porte de l’ascenseur donne sur un couloir. J’entends un cri et je vois passer une femme de chambre avec le feu au cul littéralement (on brûle, je le sens). Plutôt que de la suivre, on se précipite en direction des ennuis. Des panneaux nous indiquent qu’on se dirige vers la balroom (avec le chandelier, mais sans madame White puisqu’elle vient de partir).

La double porte de la salle de bal est en chêne bordée d’or, de flammes et de suie. Le feu n’est pas en train de ravager l’immeuble, entendons-nous, il le chatouille ça et là, sans plus.

On pousse la porte prudemment (de manière prude) pour apercevoir un homme en soutane (le père Bartolomeu, me dis-je sans grand effort) avec sur le dos une boîte métallique avec des fils électriques, des boutons et un genre de tuyau de balayeuse, lequel est relié au fusil laser qu’il tient dans sa main droite. S’il n’était pas tant occupé à tirer partout, le saint homme m’expliquerait qu’il s’agit d’un authentique casseur de fantôme 1984 autographié par Peter Venkman dit le pieu. Dans sa main gauche, il porte un bénitier qui semble lui servir d’avantage à éteindre les petits incendies qu’il allume qu’à exorciser des revenants.

Une partie de la pièce est tout bonnement détruite : trou béant avec vue pittoresque sur le boulevard et le 30e étage du building d’en face. Dans le coin de la pièce à peu près intact, les frères Twins sont barricadés derrière un bar noirci par les décharges de laser et regardent stupéfaits le fantôme d’Old Stinky Poop, coincé dans un champ magnétique à proximité.

- Bonjour Mister, me dit le prêtre en envoyant une rafale aux Twins qui se remettent aussitôt à couvert. Navré que nous dussions faire connaissance dans des circonstances aussi peu conviviales, vous me trouvez tout de même ravi.

- De même, lui réponds-je. Je vois que vous avez la situation en mains.

- Pas autant que je ne le souhaiterais. Ces deux là sont vraiment coriaces (il me pointe le bar avec son engin et envoie un petit coup aux Twins dont les têtes commençait à poindre) et cet idiot ignore où est Culbuta (deuxième petit coup qui fait hurler le pirate).

- Ça va tenir longtemps, dis-je en mimant adroitement un champ magnétique (pas facile, vous essaierez).

- Aussi longtemps que nécessaire. Je vous réservais le spectre pour les questions avant de le mettre en boîte.

J’adresse au Pirate la sempiternelle question : « Où est Culbuta? ».

- Je l’ignore! Elle était ici, mais elle a disparu, elle s’est enfuie. Ne me faite plus mal! (Il a perdu l’habitude d’avoir mal, ça s’entend.)

- Dans la boîte alors!

Le serviteur de Dieu m’obéit comme à son maître (j’apprécie). Il a déjà balancé sa trappe à fantôme et appuyé une nouvelle fois sur la gâchette. Old Stinky tourbillonne en criant « Nooooooon » et disparaît dans la trappe. Maintenant, trop tard pour changer d’idée (par chance, ce n’est pas mon genre).

- Qu’est-ce qu’on fait des autres? demande K’pa, toujours pragmatique.

- Ils s’avèrent être particulièrement agressifs, nous explique Bartolomeu. Ils sont là depuis 3 minutes à peine et ils ont fait explosé le mur, ils ont mis feu à une femme de chambre et je crois qu’ils tiennent Zachary en otage. Dieu nous vienne en aide.

- Et les types de l'entrée avec une croix de feu sur la poitrine? M'enquis-je en ayant déjà une idée de la réponse.

- Le Seigneur rappelait à lui ces brebis égarées... dans le seul but de leur épargner le méchoui éternel. Peut-être ai-je put occire une demi-douzaine d'impies dans le hall, mais le mal est moindre, je vous assure.

Sans prévenir (n’espérez jamais un télégramme chanté avant un mauvais coup) et sans égard pour notre bref conciliabule, les frères Twins nous interrompent en hurlant.

- YYYAAAAAAAH! Ce faisant, ils nous balancent le bar qui leur servait de paratonnerre à une hauteur fort appréciable et une vélocité meilleure encore.

K’pa et moi esquivons avec toute la souplesse impartie à la jeunesse mais le prêtre (après avoir vérifié l’état de ses rhumatismes) se le prend en pleine figure.

Je relève la tête, Œil Crevé s’empare de la boîte à fantôme et saute sur un chariot de bouteilles de champagne poussé à toute allure par Titane et, comme dans un film d’action (je le jure!), ils foncent vers le trou dans le mur.

À un mètre du bord, Titane saute à bord avec son frère. L’élan du chariot est amplement suffisant pour atteindre le building d’en face aux environs du 26e étage et ils ont plus ou moins 78,2% de chance d’arriver vis-à-vis une fenêtre… (roulement de tambour) et c’est… réussi (crotte)! En frappant la vitre de l'autre côté, Œil Crevé comprend pourquoi son cadet insistait pour pousser leur véhicule.

J’aide K’pa à se relever et on se précipite sur Barto (les épreuves qu’on vient de franchir me permettent un nouveau degré de familiarité).

- Barto, ça va?

- Père Bartolomeu che vous prie, me reprend le vieil édenté (je l’aime à peine moins; à part moi, personne n’est parfait). Non cha ne va pas. Donnez-moi ma gourde mon brafe… et schtroumfez mon picheon.

Il a deux gourdes à son ceinturon, eau bénite et eau-de-vie. Je lui tends la deuxième. Il s’expédie une belle rasade (Shé de son prénom) et nous abandonne pour mille et une nuits.

- Pauvre vieux, murmure K’pa.

- Rrrou, roucoule le pigeon-tronc juste à côté, sorti d’on ne sait où (ça nous fait au moins ça de moins sur les bras).

Le curé sourit, béat. Je le prends sur mon épaule et j’annonce :

- Il va s’en tirer, suivez-moi!

Mes désirs sont des ordres (et l’inverse également), K’pa et Zachary me suivent sans rechigner vers le couloir menant à l’ascenseur. Une question demeure encore et toujours: où est Culbuta?

- Rrrrrooou!

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